VIH/sida : Deux activistes camerounais expliquent pourquoi il faut augmenter les ressources du Fonds mondial
Cet été, Komitid a interviewé deux activistes camerounais, Kevin Evina, d'Affirmative Action, et Franz Mananga, d'Alternatives Cameroun. Ces deux ONG (partenaires du réseau Coalition Plus) agissent notamment auprès des populations LGBTI+, dans un contexte d'homophobie d'Etat, grâce au soutien du Fonds mondial.
Le Fonds mondial organise du 19 au 21 septembre un appel à contribution de la communauté internationale, à New York, dénommé Septième reconstitution des ressources. Cet organisme espère pouvoir recueillir au moins 18 milliards de dollars pour couvrir ses programmes de 2024 à 2026.
Selon le dernier rapport du Fonds, ce sont 50 millions de vie qui ont pu être sauvées depuis 20 ans grâce à des financements innovants contre les trois grandes maladies que sont le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose.
Créé en 2002, le Fonds mondial a aussi depuis deux décennies soutenu des programmes en faveur de la lutte contre les discriminations LGBTphobes qui alimentent l’épidémie dans de nombreuses régions du monde. Komitid vous en avait déjà parlé.
Cet été, Komitid a interviewé deux activistes camerounais, Kevin Ambah Evina, d’Affirmative Action, et Franz Mananga, d’Alternatives Cameroun. Ces deux ONG (partenaires du réseau Coalition Plus) agissent notamment auprès des populations LGBTI+, dans un contexte d’homophobie d’Etat. Selon Kevin Evina et Franz Mananga, le soutien financier du Fonds mondial est dans ce contexte indispensable. Ils nous expliquent pourquoi.
Komitid : Pourquoi le soutien du Fonds mondial est-il important pour vos associations ?
Kevin Ambah Evina : Nous bénéficions de l’aide du Fonds mondial depuis 2012. Le Fonds mondial a permis de prendre en compte les besoins des pays du Sud, mais au delà de ça, le Fonds mondial nous aide pour ce qui touche aux droits humains. Au Cameroun, nous avons un plan quinquennal pour lutter contre les obstacles qui peuvent entraver la lutte contre le VIH. Grâce au Fonds mondial, nous avons pu discuter avec les autorités administratives, avec les forces de l’ordre, afin que les bénéficiaires de nos programmes puissent venir chez nous en toute sécurité. Un exemple : si les bénéficiaires étaient retrouvés avec du lubrifiant dans les poches, ils pouvaient être arrêtés pour soupçon d’homosexualité. En 2016-2017, nous avons mené de très grandes campagnes de plaidoyer auprès des autorités afin de faire comprendre la nécessité en terme de santé publique de ces programmes. Le Fonds mondial a aussi permis l’accès aux soins des populations LGBT particulièrement, de façon moins forte pour les lesbiennes cependant. Nous avons formé des médecins, des infirmiers à ces problématique de santé. Le Fonds mondial permet aussi des partages d’expériences. Nous organisons aussi des causeries éducatives, des groupes de parole, pour des membres de la communauté. Nous avons pu éduquer les personnes vivant avec le VIH sur la prise de médicaments, les conseils en nutrition. Des assistants psycho sociaux ont été formés pour accompagner les personnes vivant avec le VIH. Nous formons aussi des pairs éducateurs en prévention. Donc le Fonds mondial nous a permis de mener énormément d’actions pour le bien être de notre communauté. Les problèmes sont grands et les besoins ne sont pas tous couverts.
« Le Fonds mondial nous a permis de mener énormément d’actions pour le bien être de notre communauté »
Franz Mananga : C’est grâce au Fonds mondial que les HSH et les travailleur·euses du sexe et aujourd’hui les usagers de drogues, ont pu être inclues dans les plans nationaux des pays du Sud de lutte contre le VIH/sida. Nous avons pu mettre sur la table les besoins de ces populations. A travers Expertise France, nos deux ONG ont aussi pu mettre en place des projets spécifiques.
Qu’attendez-vous de cette réunion du Fonds Mondial à New York ?
Franz Mananga : La sensibilisation des états pour augmenter les fonds qui doivent être au minimum à 18 milliards de dollars pour trois ans. On demande aussi à la France de doubler sa contribution. Il faut aussi sensibiliser aux crises que traverse le monde et qui ont un impact sur les populations que nous aidons. La Covid a confiné et on a pu voir une augmentation des violences basées sur le genre en ce qui concerne les personnes trans et les personnes gays ; la guerre en Ukraine a conduit à une augmentation des prix des denrées. La stigmatisation a rendu plus difficile l’accès aux soins.
Kevin Ambah Evina : Nous voulons que les États prennent des engagements francs. Cet argent, c’est véritablement pour aider les populations. L’inflation que l’on vit partout aura un impact sur le quotidien des personnes que nous suivons. Il faut augmenter l’enveloppe du Fonds mondial. Beaucoup d’enfants continuent de mourir du paludisme. Il faut aussi continuer à aider la lutte contre le paludisme et la tuberculose. Si nous voulons atteindre les objectifs d’Onusida et notamment celui d’éradiquer le VIH/sida en 2030, il faut s’en donner les moyens.
« On doit dire aux pays donateurs que nous pouvons nous asseoir à la table en tant que représentants des personnes LGBT, mais dans de nombreux pays, l’homosexualité reste pénalisée »
Qu’avez-vous envie de dire aux pays donateurs ?
Franz Mananga : Dès aujourd’hui, on doit dire aux pays donateurs que nous pouvons certes nous asseoir à la table en tant que représentants des personnes LGBT, mais dans de nombreux pays, l’homosexualité reste pénalisée. Il reste encore beaucoup à faire. Les personnes trans sont jetées en pâture et les personnes gays emprisonnées. Malgré toute l’action menée grâce au Fonds mondial, le chemin est encore long. Après la Covid, une des priorités reste la lutte contre le VIH/sida mais aussi la lutte contre le paludisme et la tuberculose, trois combats menés par le Fonds mondial. En moins d’une année, on a pu trouver un vaccin contre le Covid car les états se sont investis et ont mis des moyens colossaux. Aux États, on a envie de dire : regardez, vous pouvez mettre en œuvre des moyens importants contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, comme vous l’avez fait pour la Covid, avec des résultats. Je vais vous raconter une histoire : au Cameroun en 2016, un jeune homme a envoyé un message à un autre garçon pour lui dire qu’il l’aimait. Il a été arrêté par la police, jugé et a été condamné à cinq ans de prison. Il est ressorti après trois ans, après une intense campagne des associations. Mais il était infecté par le VIH et il est décédé trois mois après sa sortie de prison. Aujourd’hui nous luttons contre ce genre de condamnations arbitraires. Grâce au Fonds mondial nous pouvons mettre en œuvres des plans quinquennaux contre ces violences et soutenir les personnes LGBT en prison ou qui viennent de sortir de prison. Grâce à toutes ces instances où nous pouvons nous exprimer, nous parlons aux autorités pour leur dire que nous ne sommes pas le problème, mais une partie de la solution.
Une question d’actualité. La variole du singe est endémique dans plusieurs pays d’Afrique. Mais êtes-vous confrontés à des cas chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes au Cameroun ?
Franz : Ça nous interpelle et ça nous inquiète car nous faisons partie de la communauté. Mais l’attitude des autorités est un peu la même que lors de la Covid, expliquant que cela concerne l’Occident. La où il faudrait sensibiliser pour mettre en place des mesures préventives. Nous avons souvent l’impression qu’ils ne veulent pas entendre parler des personnes LGBT ou trans, ou comme on dit populations clé. Mais le même Etat continue de rendre l’environnement défavorable aux droits LGBT. C’est tout le paradoxe : les autorités sont d’accord pour recevoir l’aide du Fonds mondial, sachant que cet argent va aussi aller à soutenir des projets envers les populations clé, mais on fait tout pour ne pas en parler.
Kevin Ambah Evina : l’Etat ne s’y intéresse pas mais s’il y a un cas ce sera la faute de la communauté homosexuelle ! A notre niveau on continue à surveiller avec nos mécanismes associatifs. Mais officiellement, il n’y a pas de cas actuellement*. Mais comme nous dépendons de financement extérieur, nous ne pouvons pas prendre cela en charge. J’avais un jour expliqué le paradoxe qui est de s’occuper de la santé de populations tout en les mettant en prison. On m’avait répondu que la santé publique était pour tout le monde mais ça ne veut pas dire que l’Etat est d’accord…
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