Elias Ericson, auteur de « Diana & Charlie » : « Même si j'aimerais dessiner toute la journée, le moment est venu de faire de l'activisme politique »
Elias Ericson est l'auteur d'un roman graphique formidable. « Diana & Charlie » raconte le quotidien de deux ados trans, dans la Suède d'avant la fin de la stérilisation forcée des personnes trans désireuses de changer d'état civil. Un livre fort, touchant et réaliste. Elias Ericson a répondu aux questions de Komitid.
Diana & Charlie est un roman graphique important sur les ados trans.
Son auteur, Elias Ericson, est un dessinateur et illustrateur de bandes dessinées, né en Suède en 1994.
L’histoire de Diana & Charlie se passe fin 2011, début 2012, en Suède, un an avant la fin de la stérilisation forcée des personnes trans désireuses de changer d’état civil. Sur fond de morceaux musicaux, le quotidien de Charlie et de Diana est décrit de façon très fouillée et subtile par l’auteur, le dessinateur et illustrateur suédois Elias Ericson. Le livre, publié en 2021 en Suède, a été traduit en français, espagnol et allemand.
Komitid a interviewé l’auteur par mail.
Komitid : Tout d’abord, je tenais à vous remercier pour ce livre formidable et puissant !
Merci beaucoup ! Je suis très excité que le public francophone puisse le lire.
Comment cette histoire est-elle née ?
J’ai remarqué combien de personnes queer ont eu des années d’adolescence particulièrement difficiles. Être jeune est bien sûr difficile en soi, mais être jeune et stigmatisé en tant que LGBTQ est souvent une expérience très isolante. De nombreux jeunes queers n’ont pas encore trouvé de communauté avec qui partager leurs expériences, ni même de personnes qui les traitent avec un minimum de respect. Dans une situation aussi vulnérable, il n’est pas étonnant que les jeunes LGBTQ aient souvent une moins bonne santé mentale que le reste de la population.
Qu’avez-vous voulu transmettre à travers les parcours de ces deux jeunes ados trans, Diana et Charlie ?
Je souhaite que celles et ceux qui se reconnaissent dans les difficultés puissent aussi trouver une part d’espoir dans mon livre. Il était important pour moi de ne pas simplement présenter une histoire sombre – car il y a de l’espoir pour les personnes trans. Les personnes queer et trans ne sont pas vouées à être misérables et à vivre des moments difficiles. Il y a aussi beaucoup d’amour et de bonheur à trouver dans la vie, quand vous êtes capable de vivre et d’être fidèle à vous-même. Mais il peut être très difficile de s’en sortir quand on ne se conforme pas aux attentes de la société, et les jeunes sont particulièrement vulnérables à l’homophobie et à la transphobie. Je voulais dépeindre cette lutte.
« Les événements de cette histoire sont basés sur des expériences communes de personnes LGBTQ que j’ai pu observer parmi des ami·es et des connaissances »
L’un des aspects importants de cette histoire est qu’elle dépeint aussi cette période particulière de la vie, appelée adolescence, qui est… compliquée. Vous êtes-vous inspiré de vos propres expériences et/ou ce celles de jeunes adolescent·es queers et LGBTI+ ?
Diana & Charlie est une fiction. Cependant, les événements de cette histoire sont basés sur des expériences communes de personnes LGBTQ que j’ai pu observer parmi des ami·es et des connaissances, dans la communauté et dans ma propre vie. J’ai beaucoup ressenti ce que ressentent les personnages. Je vois ce livre comme un patchwork d’expériences queers dont je voulais raconter une histoire – même si, bien sûr, tous les adolescent·es queer ne le vivent pas aussi mal que Charlie et Diana. Mais il est alarmant de se sentir déprimé et anxieux chez les jeunes LGBTQ.
Quelles ont été les réactions au livre lors de sa première publication en Suède l’année dernière ?
J’ai été surpris de voir à quel point il a été bien reçu. C’est une histoire lourde. Je n’ai pas voulu que les personnages soient de bons modèles, parce que c’est une histoire d’adolescents – je voulais que ce soit bordélique et réaliste ! Je suis heureux que les gens apprécient l’histoire même si elle n’est pas conventionnelle.
Diriez-vous que les droits des personnes trans s’améliorent en Suède ainsi que les droits des LGBT et les droits des femmes ?
Il y a plus de gens qui soutiennent visiblement une protection et des droits accrus pour les personnes trans de nos jours – mais avec les projecteurs maintenant portés sur ce groupe minoritaire assez petit, il y a eu un peu de contrecoup. Les attitudes transphobes deviennent de plus en plus fortes et occupent de plus en plus d’espace dans les médias, et il est triste que beaucoup d’énergie doive être consacrée à la protection des droits, plutôt qu’à aller de l’avant. Personnellement, j’aspire à une coalition contre le sexisme et la transphobie. Je pense qu’il est important de s’unir, maintenant que différents mouvements font face à un terrible contrecoup, et je pense que celles et ceux qui sont touchés par différents types d’oppression basée sur le genre partagent beaucoup de luttes, et seraient beaucoup plus fort·es ensemble. Des droits durement acquis peuvent être annulés. Regardez ce qui se passe aux États-Unis. Nous devons rester solidaires et sur nos gardes.
« Même si j’aimerais dessiner toute la journée, le moment est venu de faire de l’activisme politique »
Quels sont vos projets futurs ? Avez-vous pensé à une suite à « Diana & Charlie ».
Je n’ai actuellement pas de nouveau grand roman graphique à venir, et il n’y aura probablement pas de suite à Diana & Charlie. Le monde fait peur en ce moment, et même si j’aimerais dessiner toute la journée, le moment est venu de faire de l’activisme politique. Je travaille à temps partiel pour une organisation suédoise socialiste, féministe, antiraciste et contre la transphobie. Cela me donne de l’espoir. Je travaille également sur une anthologie comique contre la transphobie avec d’autres créateurs de BD suédois. Il y aura certainement plus de romans graphiques à l’avenir, mais en ce moment, je ressens aussi le besoin de faire d’autres choses.
« Diana & Charlie », d’Elias Ericson, aux éditions Robinson, 216 p., 20,99 euros.
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