Caroline Musquet : « Ce serait bénéfique que les personnalités antillaises médiatiques manifestent leur solidarité avec la communauté LGBT antillaise »
Le propos de l'essai de Caroline Musquet – le premier du genre – consiste à analyser les mécanismes du tabou persistant de l’homosexualité aux Antilles en donnant la parole à 15 témoins.
« Les sujets évités ou rares, deviennent visibles du fait même de leur invisibilité répétée. » Citée par Caroline Musquet, autrice de l’essai Etre homosexuel(le) aux Antilles, cette phrase de l’écrivaine Maryse Condé (dans Chercher nos vérités, en 1995) résume assez bien la situation aux Antilles.
Le propos de l’ouvrage de Caroline Musquet consiste à analyser les mécanismes du tabou persistant de l’homosexualité qui serait selon elle propre aux Antilles françaises (et que l’on retrouve également en Guyane). Même des grandes figures antillaises comme Franz Fanon ou Edouard Glissant ont nié l’existence de l’homosexualité aux Antilles.
Ils et elles sont sportif·ves, artistes, universitaires, militant·es : ce sont les 15 personnes LGBTet alliées qui ont accepté de témoigner dans ce livre important et premier du genre.
Caroline Musquet a répondu aux questions de Komitid sur son essai.
Komitid : Hormis les quelques personnalités connues, avez-vous eu des difficultés particulières pour recueillir les témoignages qui constituent l’essentiel de votre ouvrage ?
Le recueil de témoignages a été long. Louis-Georges Tin a accepté tout de suite la démarche. En tant que militant, il a tout de suite répondu présent et cru en la nécessité de ce projet. Mais pour les personnes non militantes, le recueil a été plus long. Pour autant, même si j’aurais aimé collecter davantage de témoignages, chacun de mes appels à témoignages lancé sur les réseaux sociaux a suscité des réactions et des envies de témoigner, de la part d’hommes et de femmes. Je dois avouer que j’ai même craint ne pas pouvoir en recueillir autant mais au final, cet ouvrage est arrivé à point nommé et la société antillaise est prête à mettre davantage ce sujet sur la table. En tous cas, pour certain·es homosexuel.les antillais·es, j’ai ressenti une véritable envie, un véritable besoin de s’exprimer. Je pense aussi que le fait d’être moi-même antillaise les a mis en confiance. Ils savaient que je connaissais très bien la culture antillaise et que je comprenais le contexte.
Après la fin de votre enquête et la rédaction de ce livre, comment vous expliquez que l’homosexualité et la transidentité restent toujours difficile à vivre aux Antilles ?
Caroline Musquet : Bon nombre d’Antillais restent figés dans une certaine image d’eux-mêmes à laquelle ils ont du mal à renoncer. L’identité antillaise a eu beaucoup de mal à se construire, écartelée entre son histoire marquée par la traite des noirs venus d’Afrique et l’impact de la colonisation puis de la départementalisation qui l’intègre malgré tout dans l’histoire de France. Enfin, il y a sa situation géographie : les Antilles se situent au centre du continent américain, ce qui influe aussi sur sa culture, d’autant que bon nombre de figures afro-américaines ont longtemps fait figure d’exemples. Dans ce contexte très diversifié où l’Antillais tente de se démarquer, tout ce qui ne se rapporte pas forcément à une caractéristique jugée positive, est rejetée. Les Antillais considèrent qu’ils doivent faire leurs preuves face à d’autres et rejettent donc tout ce qui pourrait les disqualifier, comme l’homosexualité par exemple, jugée comme un événement extérieur à la culture antillaise. Qui plus est, les Antillais sont très pudiques sur tous les sujets qui concernent le corps, les sentiments, la sexualité. Parler de ce sujet ou afficher son homosexualité est difficilement envisageable.
« L’identité antillaise a eu beaucoup de mal à se construire, écartelée entre son histoire marquée par la traite des noirs venus d’Afrique et l’impact de la colonisation puis de la départementalisation »
Le poids de la religion est-il aussi un obstacle vers plus de visibilité et d’acceptation ?
Assurément. C’est d’ailleurs tout le paradoxe des religions qui prônent la tolérance et l’amour dans leurs discours et qui dans les faits, pratiquent une ostracisation particulièrement violente. Les Antillais sont très croyants. Aller à l’église le dimanche est inscrit dans les habitudes. Plus qu’un acte religieux, c’est un acte social. On se croise, on discute à la sortie de la messe. Le discours de la religion catholique, majoritaire aux Antilles, continue de prôner que l’homosexualité est contre-nature et bon nombre de personnes qui rejettent l’homosexualité avancent cet argument, crient au péché mortel. Or, beaucoup d’homosexuels antillais sont aussi très croyants. Comment associer sa foi et son orientation sexuelle lorsque l’on se sent rejeté par son église ?
Le fait qu’aucune personnalité du monde culturel ou sportif antillais ne soit sortie du placard explique-t-il aussi ce manque d’acceptation ?
La représentativité est un élément important. A l’heure de l’hypermédiatisation, c’est même un atout incontournable. Voir dans les médias, des gens importants qui nous ressemblent et qui prennent la parole permet de se sentir moins seuls. C’est le point commun de tous ceux qui ont été interrogés dans ce livre. Lorsqu’ils ont pris conscience de leur homosexualité, ils l’ont vécu comme un drame et ce sont surtout sentis seuls au monde, persuadés d’être les seuls « homosexuels » des Antilles, d’autant que le terme n’est jamais utilisé dans nos îles et quand il l’est, c’est de façon très péjorative. Ce serait sans doute bénéfique que les personnalités antillaises qui ont accès aux médias s’emparent du sujet et manifestent leur solidarité avec la communauté LGBT antillaise.
« Les nouvelles générations notamment, beaucoup plus ouvertes sur ces sujets, vont contribuer à faire avancer les mentalités »
La situation aux Antilles connaît-elle des évolutions et si oui lesquelles ?
J’ai des raisons d’être optimiste. Quand je vois l’accueil très positif qu’a reçu mon ouvrage, les messages d’encouragement. Quand je vois aussi les associations LGBT présentes sur le terrain en Guadeloupe et en Martinique, de plus en plus visibles et investies et qui mènent des actions de sensibilisation auprès de tous les publics. Quand je vois les lignes d’écoute qui ont été créées et les lieux d’accueil qui ont également ouvert leurs portes pour les jeunes personnes LGBT antillais rejetés par leurs familles. Quand je vois que de nouvelles associations émergent, que le mois de juin est le mois des fiertés chez nous, que la toute jeune association KC2 a lancé sa première soirée de sensibilisation sur le sujet en Guadeloupe le 17 juin dernier. Les lignes bougent, indéniablement. Sans doute pas aussi vite qu’on le souhaiterait mais je pense que les nouvelles générations notamment, beaucoup plus ouvertes sur ces sujets, vont contribuer à faire avancer les mentalités.
« Être homosexuel(le) aux Antilles – 15 témoignages », de Caroline Musquet, CaraïbesEditions, 227 p., 20 euros.
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