« Une vie en parallèle », une bande-dessinée touchante sur l’homosexualité dans l’Allemagne d’après-guerre
Dans « Une vie en parallèle», Matthias Lehmann raconte la difficile existence des hommes gays dans l’Allemagne d’après-guerre. Inspirée d’une histoire vraie, la bande dessinée narre les tourments intérieurs de Karl Kling, tiraillé ente sa volonté de correspondre aux normes de son époque et son désir de rébellion.
Lorsque Eva, une de ses amies, demande à Karl ce qu’il voudrait faire s’il pouvait tout faire, celui-ci lui répond sans aucune hésitation : « Je serai en couple avec un homme ».
Dans cet échange est concentrée toute la tension du livre et du parcours de Karl. Dans un monde idéal, Karl ne se cacherait pas. Il tomberait amoureux, construirait une vie de couple avec un homme, vivrait des moments de bonheur inouïs, de ceux qu’on ne vit que lorsqu’on aime.
Mais le monde dans lequel Karl vit est loin du monde idéal. C’est celui de l’Allemagne de l’après-guerre, une société détruite par le nazisme et dans laquelle l’homosexualité est proscrite et sera pénalisée jusqu’en 1994.
Alors il se construit une vie en parallèle. Le jour, il est un père de famille comblé, épris de sa femme et vivant une vie ordinaire mais heureuse. La nuit, il sort et rencontre des hommes.
Il ne cesse de passer d’une vie à l’autre, quitte parfois à hésiter et à s’en vouloir. Une seconde, il regrette de vivre dans le mensonge et de ne pas être honnête avec lui-même et avec ses proches. La seconde suivante, il regrette de ne pas être présent pour sa famille et de céder à ses « idées fixes ».
C’est ainsi qu’il traversera des décennies entières, sans jamais parvenir à choisir. A vingt, trente, quarante ou cinquante ans, il y a la même hésitation, la même interrogation, la même absence de réponse.
Un dilemme cornélien
Sa vie est un dilemme cornélien. Qui choisir ?
S’il se choisit, il prend le risque de quitter femme et fille pour vivre une vie à l’écart, ostracisé et stigmatisé. S’il choisit les autres, il accepte de vivre une vie qui n’est pas la sienne.
Par ses dessins en noir et blanc, Matthias Lehmann parvient admirablement à raconter toutes les contradictions de son protagoniste. A tel point qu’on finit par le comprendre, par sentir son tiraillement jusque dans notre propre chair.
« Une vie en parallèle », de Matthias Lehmann, Editions Steinkis, 454 p., 28 euros.
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