Louise Morel : « L’ambition de ce livre, c'est d’ouvrir un débat sur le lesbianisme politique, sur la possibilité du lesbianisme pour beaucoup de femmes »
Dans son premier essai, "Comment devenir lesbienne en dix étapes" publié aux éditions Hors d'atteinte, Louise Morel évoque son passage de l'hétérosexualité au lesbianisme. Son livre, à mi-chemin entre un essai théorique et un guide pratique, propose dix étapes pour mettre fin à l'hétérosexualité et découvrir qu'un autre chemin est possible. Interview.
Komitid : Pouvez-vous vous présenter et nous en dire un peu plus sur la genèse de « Comment devenir lesbienne en dix étapes » ?
Louise Morel : Oui bien sûr. Je m’appelle Louise Morel, je vais avoir 32 ans et ça fait presque deux ans que j’écris sur le lesbianisme et sur les sujets liés au lesbianisme sur un compte Instagram qui au départ s’appelait @Jesuisgouine et que j’ai renommé @jesuislouisemorel
L’essai reprend des propos que je développais sur mon compte Instagram. Je trouvais qu’il y avait un angle-mort qui était le passage de l’hétérosexualité au lesbianisme. Puis ensuite, en travaillant sur les épreuves de mon roman, Ressource humaine (éd. Hors d’atteinte), et notamment sur une scène de sexe hétéro, l’éditrice et moi, nous nous sommes engagées dans une discussion sur le sexe hétérosexuel et je lui ai dit en rigolant, « je suis tellement soulagée de plus être hétéra », et elle m’a suggéré d’en faire un livre. C’était une plaisanterie et c’est comme cela que tout cela est né.
Sur votre compte Instagram, vous présentez ce livre comme étant à la fois un essai théorique et un livre pratique. Est-ce que cette double dimension était l’ambition de départ ?
C’était l’ambition de départ. Moi, j’avais très envie de faire quelque chose de pratique parce que je trouvais qu’il manquait des repères pratiques et un témoignage incarné, honnête et direct sur le passage de l’hétérosexualité au lesbianisme. On avait aussi l’ambition que ce soit assez facile d’accès et de faire quelque chose d’accessible à tou·te·s et qui puisse être lu de façon légère sans avoir besoin d’y passer des heures et des heures.
Pourquoi avoir choisi ce titre ? Comprenez-vous les critiques dont il est l’objet ?
Je comprends complètement que l’idée qu’on puisse choisir et changer d’orientation sexuelle heurte des gens. Écrire un livre avec ce titre ne signifie pas que toutes les personnes lesbiennes et homosexuelles ont fait un choix. L’erreur qui est faite est de penser qu’il y a un seul vécu lesbien ou un seul vécu homosexuel. On n’est pas homogène, on a toutes notre parcours et notre histoire. Je pense qu’il faut faire exister cette autre histoire et la respecter aussi. L’une ne doit pas annuler l’autre.
Il y a aussi une question plus théorique, à savoir, est ce que cela veut dire que les homophobes ont raison ? Je pense que la stratégie de défense qui consiste à dire : « on n’a pas choisi, on est des victimes de notre orientation sexuelle », est dangereuse. Cela signifie que si on le pouvait alors il le faudrait.
C’est bien plus fort de répondre que les thérapies de conversion sont une forme de torture, non pas parce qu’elles sont inefficaces, mais surtout parce que l’idée de faire disparaître des personnes homosexuelles est une pensée fondée sur la haine de l’autre.
Dans votre livre, vous faites référence à Monique Wittig et à l’hétérosexualité comme régime politique. Est-ce que vous pouvez expliquer ce concept et la raison qui vous a poussée à l’évoquer ?
J’en parle dans mon livre car il me tient à cœur de montrer en quoi l’hétérosexualité n’est pas un régime naturel. C’est quelque chose qui est construit politiquement. Quand Monique Wittig dit que « les lesbiennes ne sont pas des femmes », elle veut dire que la catégorie de « femme » est définie par complémentarité à la catégorie d’ « homme » et que ces deux catégories se renvoient l’une à l’autre au sein de l’hétérosexualité. Lorsqu’on n’est plus dans un régime hétérosexuel, lorsqu’on n’interagit plus avec des hommes sur un mode hétérosexuel, alors on échappe à l’une des principales façons qu’a le patriarcat de nous assigner à une place.
En parlant de votre expérience, vous expliquez que votre orientation sexuelle ne relevait pas de l’évidence et que vous avez longtemps douté. Est-ce que vous trouvez que dans les représentations des lesbiennes, ce type de parcours manque ?
Oui, je trouve que ça manque dans les représentations fictionnelles et dans les discours en général. En tant que femmes, on est construites en tant qu’objet de désir, ce qui signifie que l’on n’est pas toujours très conscientes de nos désirs. Ces dernières années, dans la plupart des œuvres qui représentent des lesbiennes la place du doute a été peu représentée. Ce qui manque, c’est de dire qu’il n’y a pas d’évidence, pas de simplicité, en tout cas pas pour tout le monde.
Pourquoi avoir choisi le terme « lesbienne » pour votre titre ? Était-ce un choix politique ?
Quand j’ai lancé mon compte qui s’appelait @jesuisgouine, c’était le raccourci d’un site que j’avais lancé qui s’appelait « Comment je suis devenue gouine ? ». L’éditrice était très sûre d’elle pour le titre et moi, à l’inverse, j’étais plus dans le doute. J’avais un peu peur que ça fasse peur, que ça repousse des gens. Je ne suis pas convaincue que toutes les personnes qui ne sont pas directement concernées soient très à l’aise avec le titre. C’était donc un choix politique et éditorial de notre part.
Vous racontez avoir coupé vos cheveux au moment de devenir lesbienne. Devenir lesbienne signifie-t-il changer d’apparence ?
L’apparence, c’est une question essentielle et en même temps très difficile à traiter parce que je ne veux pas non plus tomber dans un discours qui deviendrait une injonction aux lesbiennes de ressembler à quelque chose. Je pense qu’on peut devenir lesbienne sans rien changer à son apparence. Néanmoins, je pense que lorsqu’on change une composante majeure de sa vie affective, cela a des répercussions. Le fait de me raser les cheveux à un moment, c’était aussi une technique de visibilisation dans l’espace public pour d’autres lesbiennes. Cette libération de certains codes, je l’ai vécu dans une grande joie.
« Lorsque je prends le taxi avec ma compagne et que le chauffeur est infect, on ne sait pas si c’est parce qu’il a passé une mauvaise journée ou parce qu’il est homophobe »
Donc devenir lesbienne, c’est aussi se rendre visible en tant que lesbienne ?
Devenir lesbienne, c’est avant tout quelque chose de social. Nos attirances et notre vie intime se construisent par rencontres avec les autres et en l’occurrence par rencontre avec d’autres lesbiennes. Le problème de la visibilité a profondément marqué mon parcours lesbien. Mais aujourd’hui je comprends de mieux en mieux pourquoi certaines lesbiennes sont tentées de ne pas être visibles. C’est parce qu’en fait, être lesbienne dans un monde hétéro, c’est lourd et fatigant. Maintenant que je suis visible, il faut composer avec. Par exemple, lorsque je prends le taxi avec ma compagne et que le chauffeur est infect, on ne sait pas si c’est parce qu’il a passé une mauvaise journée ou parce qu’il est homophobe. Être visible, c’est aussi composer avec le spectre de l’homophobie.
Il y a un de vos chapitres qui s’appelle « bien s’entourer ». En quoi, en tant que lesbienne, est-ce important de faire communauté avec d’autres lesbiennes ?
Pour moi, c’est essentiel de s’entourer d’autres personnes lesbiennes car on a des sujets d’oppression communs, des difficultés communes. Il y a un savoir qui n’est pas accessible autrement que par des réseaux lesbiens. Par exemple pour la filiation, les vraies infos sont difficiles à trouver. On a besoin de solidarité lesbienne pour savoir quel gynécologue consulter, ou aller se faire traiter… Sur des choses plus banales, cela permet également de pouvoir partager notre quotidien avec des personnes qui le comprennent sans avoir la crainte que ce soit mal perçu.
Sur votre quatrième de couverture, on peut lire cette citation de Virginie Despentes : « A mon avis, dans vingt ans, la plupart des meufs sont lesbiennes, ça va se faire tout seul, je le crois réellement ». Et vous, vous y croyez ?
Dans vingt ans ça me parait un peu court (rires). Lorsque je vois la rapidité à laquelle le lesbianisme est écarté du champ des possibles par tellement de femmes. Il y a une espèce de réflexe de ne pas réfléchir le sujet et de l’écarter d’un revers de la main. En revanche, je crois sincèrement que toutes les femmes y auraient intérêt.
Est-ce qu’il n’y a pas une inégalité en matière de possibilité du devenir ? Comment avoir un devenir effectif lorsqu’on est à la campagne, loin de tout ?
D’abord, je pense qu’il faut se méfier d’une vision misérabiliste des lesbiennes qui habitent à la campagne. Elles ont d’autres réseaux de sociabilité. Concernant les conditions matérielles du devenir lesbien, je l’ai abordé dans un texte sur Instagram. Je pense que ce n’est pas un hasard si je suis devenue lesbienne au moment où j’ai eu une indépendance financière complète.
Je pense qu’en tant que femme, il y a un besoin d’assurer ses arrières et d’avoir des conditions matérielles d’existence qui ne nous mettent pas en danger. C’est sûr qu’il y a des conditions pratiques qui facilitent un devenir lesbien et d’autres qui le rendent difficile. Cela étant, une fois qu’on a dit ça, je ne sais pas si on a dit grand-chose.
Avez-vous eu des réactions à la suite de la publication de votre livre ?
Plusieurs personnes m’ont écrit pour me dire que mon livre les avait bouleversées, qu’elles avaient l’impression que ça plantait une graine. J’ai eu ces retours là et je dois dire que ça me réjouit parce que c’était vraiment ça le but. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a cette possibilité, il y a ce monde qui est plus beau et plus doux et si vous voulez, il est pour vous aussi.
Vous cosignez ce livre avec la dessinatrice Citlali Souloumiac, comment est née cette collaboration ?
On voulait faire quelque chose de léger, d’agréable à lire et facile d’accès et on trouvait que les illustrations envoyaient un bon signal dans ce sens-là. C’était une façon d’enrichir le propos avec une autre forme d’art que la littérature. Et là, j’ai suggéré Citlali Souloumiac car je suivais son travail sur Instagram. Je pensais que c’était important que ce soit une personne concernée, en l’occurrence une personne queer, qui travaille avec nous.
Un dernier mot ?
Je voudrais juste conclure en disant que mon but est de participer au débat qui est en cours sur la sortie de l’hétérosexualité. Je suis consciente que les prises de position sur ce sujet vieillissent assez vite parce que c’est un champ qui est en bouleversement. L’ambition avec ce livre, c’est de faire réfléchir, d’ouvrir un débat sur le lesbianisme politique, sur la possibilité du lesbianisme pour beaucoup de femmes. On ne prétend pas apporter de réponses définitives à des questions très complexes. L’idée est de provoquer la réflexion et le débat.
« Comment devenir lesbienne en dix étapes », de Louise Morel, édition Hors d’atteinte, 120 p., 16€
Jeudi 19 mai à 19 heures : Rencontre avec Louise Morel à la librairie parisienne Les Mots à la bouche
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