Tal Madesta : « Je voulais montrer que la sexualité n'a pas à être au cœur de la fête continuellement »
Dans son premier livre « Désirer à tout prix » publié dans La collection sur la table de Binge Audios Editions, Tal Madesta s’interroge sur la course à la sexualité dans notre société en général et dans le couple en particulier. En célébrant d’autres formes d’amour comme l’amitié, il montre que de nouveaux moyens d’accéder à l’intimité sont possibles.
Dans son premier livre Désirer à tout prix publié dans La collection sur la table de Binge Audios Editions, Tal Madesta, militant féministe trans et journaliste indépendant, s’interroge sur la course à la sexualité dans notre société en général et dans le couple en particulier. En célébrant d’autres formes d’amour comme l’amitié, il montre que de nouveaux moyens d’accéder à l’intimité sont possibles.
Komitid : Comment l’idée de ce livre vous est venue ?
Tal Madesta : Ce livre est venu d’un malaise que je ressentais par rapport à ma sexualité. Je ne me retrouvais absolument pas dans les discours sur ce sujet et encore moins dans les discours féministes. Je me sentais assez seul dans ce décalage par rapport à une sexualité qui serait vectrice d’émancipation. Puis, j’ai commencé à en parler autour de moi et on s’est rendu compte que c’était beaucoup plus difficile pour tout le monde que ce qu’on pensait. Et suite à ma participation au podcast Le cœur sur la table, Victoire (Victoire Tuaillon qui dirige La Collection sur la table, ndlr) m’a dit qu’il y avait quelque chose à faire sur un format plus long et c’est comme cela qu’on est parti sur l’idée de ce livre.
Vous faites parler de nombreuses personnes différentes dans votre livre. Est-ce que c’était un format que vous souhaitiez dès le début ?
La première partie navigue entre l’intime et une approche théorique. Avec mon éditrice, on s’est dit que c’était important en deuxième partie d’ouvrir des perspectives et moi je ne voulais pas retomber dans des nouvelles prescriptions par rapport à la sexualité. On est parti sur la manière de faire lien autrement, sans passer par la sexualité. Je voulais montrer que la sexualité n’a pas à être au cœur de la fête continuellement.
« La sexualité obligatoire désigne tout ce qui va organiser idéologiquement, sociologiquement, et même légalement avec la notion de « devoir conjugal », la sexualité comme étant une activité incontournable de la vie humaine »
Vous faites régulièrement appel au concept de « sexualité obligatoire » dans votre livre. Qu’est-ce que cela désigne ?
La sexualité obligatoire désigne tout ce qui va organiser idéologiquement, sociologiquement, et même légalement avec la notion de « devoir conjugal », la sexualité comme étant une activité incontournable de la vie humaine. C’est la manière dont on va organiser collectivement notre obsession autour de la sexualité et comment elle régit des liens humains profonds.
Dans votre livre, vous soulignez qu’il n’existe aucune représentation du couple sans sexualité. Est-ce que cela signifie qu’il y a un problème de représentation ?
Bien sûr que la question des représentations est importante car on nous dépeint la passion amoureuse comme étant un lien sexualisé. Cela a structuré tout notre imaginaire autour de la sexualité. Les couples qui tombent fou amoureux ce sont ceux qui vont vivre une passion sexuelle intense et les couples en fin de vie, qui sont dépeints comme malheureux, sont désexualisés. Parce qu’il ne partage plus de sexe, il ne partage plus d’intimité. C’est mortifère pour plein de gens pour qui cette perspective est pressurisante.
Vous dressez également une critique de la révolution sexuelle en estimant que c’est un leurre. C’est-à-dire ?
J’y vois un présupposé libéral. Je trouve ça questionnant qu’on présente l’objectif de désirer sans entraves comme un objectif forcément émancipateur sans prendre en compte la question de la répartition des tâches domestiques, etc. Le problème de ce genre de discours, c’est que ça dépolitise la question de la sexualité, on la renvoie à quelque chose de l’ordre de la performance.
Au cœur de votre livre, on retrouve la question de l’intimité. Pour vous, que désigne ce terme ?
L’intimité, c’est un espace ou des moyens, des façons de se connecter à l’autre. La sexualité, c’est une manière de faire intimité. On peut envisager plein d’autres espaces qui sont tout aussi engageants, tout aussi forts, comme l’amitié. Je pense qu’il faut remettre en question la centralité du couple hétérosexuel et de la famille nucléaire qui découle de lui comme une cellule supérieure de l’intimité dans notre société.
Vous parlez beaucoup des marges et du fait que pour réinventer l’intimité, il faudrait être à la marge. Ainsi, peut-on réinventer l’intimité sans être à la marge ?
Je pense qu’on peut, mais ce sont des réflexions qui nous viennent des marges et notamment des lesbiennes racisées comme Audrey Lorde et bell hooks. Ce que je veux dire, c’est que l’impératif sexuel se pose principalement sur le couple hétérosexuel. En parallèle, les sexualités LGBTI sont plus découragées car considérées comme déviantes. Dans le livre, je prends l’exemple d’une lesbienne à qui on demande pourquoi elle a voulu créer une communauté, inventer d’autres modèles de famille et d’amour et elle a cette réponse simple mais forte : « Parce qu’on avait pas le droit de se tenir la main dans la rue ». A partir du moment où on est marginalisé, on n’a pas le choix que de créer d’autres modèles familiaux, d’autres formes d’amour, de créer communauté finalement.
En parlant du couple hétérosexuel, peut-on selon vous échapper à cette centralité en restant dans un couple hétérosexuel ?
Bien sûr qu’il y a des femmes hétérosexuelles qui peuvent être heureuses en couple. Mais je ne pense pas que le couple hétéro puisse être réinventé. Dans tous les cas, il restera une cellule au service du patriarcat et de l’exploitation des femmes.
« Je ne pense pas que le couple hétéro puisse être réinventé. Dans tous les cas, il restera une cellule au service du patriarcat et de l’exploitation des femmes »
Vous évoquez un système de hiérarchie entre l’amour et l’amitié en expliquant que la passion amoureuse est systématiquement perçue comme supérieure. Est-ce que la réponse à tous les problèmes n’est pas de renverser ce système hiérarchique ?
C’est une des pistes possibles. Individuellement, on peut repenser cette hiérarchisation complètement capitaliste des liens humains parce qu’effectivement, ce n’est pas des liens rentables. Les liens amicaux, ce sont pourtant les moins rentables, mais qui sont en réalité les plus fertiles. Les amitiés, ce sont des lieux qui se soustraient aux impératifs productivistes.
Faire communauté autrement, c’est donc une question de survie ?
Oui complètement. Cela me fait penser au témoignage de mon amie Lola, une femme trans, qui explique que lorsqu’on se fait rejeter par les membres de sa famille, on n’a pas d’autres choix que de recréer une famille autrement. C’est pour cela que nos potentiels de réinvention de l’intimité sont assez extraordinaires.
Vous avez fait un important travail de documentation dans le cadre de l’écriture de ce livre. Est-ce que cette question de l’intimité était bien documentée ?
Il y a plein de ressources, mais elles ne sont pas démocratisées. De l’endroit d’où je viens, personne n’a lu Wittig, personne n’a lu bell hooks. Le problème, c’est que les lesbiennes ne passent pas l’Histoire.
En 2022, est-ce qu’un livre comme le vôtre parvient à être entendu ?
Ce livre et l’intégralité de la collection sur la table cible les femmes hétéros. Pour savoir si ça va dépasser les frontières des mondes plus politisés, on n’y est pas encore. Ça restera des discours plus ou moins de niche, mais cela reste très compliqué de savoir qui achète mon livre.
Depuis que votre livre a été publié, quels retours avez-vous eu de la part de vos lecteur·ices ?
Sans surprise, ce sont souvent des lectrices. C’est souvent un retour de soulagement. Mon objectif était justement de créer ce soulagement, dont j’aurais eu besoin il y a quelques années quand je pensais à mon décalage par rapport à la sexualité.
A la fin de votre livre, il y a une rubrique « pour aller plus loin » dans laquelle vous listez des ressources indispensables. Parmi celles-ci quel est votre indispensable ?
Je conseillerais La contrainte à l’hétérosexualité et l’existence lesbienne d’Adrienne Rich ou le podcast Vivre sans sexualité d’Ovidie et Tancrède Ramonet.
« Désirer à tout prix », de Tal Madesta, La collection sur la table, Binge Audio Editions, 160 p., 15€.
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