Didier Roth-Bettoni : « Derek Jarman et Barbara Hammer choisissent de donner une visibilité et une reconnaissance à l’Histoire invisibilisée des gays et des lesbiennes »
Derek Jarman et Barbara Hammer ne se sont jamais rencontrés et pourtant. Leur vie personnelle, leur parcours artistique et militant présentent tant de similitudes qu'il a semblé pertinent à Didier Roth-Bettoni de les faire dialoguer. Cela donne un documentaire sonore indispensable !
Le journaliste Didier Roth-Bettoni s’est allié de nouveau à Nathalie Battus (qui avait réalisé sa série sur les années sida) pour une émission passionnante sur deux figures majeures du cinéma et de l’activisme LGBT, l’Américaine Barbara Hammer et le Britannique Derek Jarman. Ils ne se sont jamais rencontrés et pourtant. Leur vie personnelle, leur parcours artistique et militant présentent tant de similitudes qu’il a semblé pertinent à Didier Roth-Bettoni de les faire dialoguer. Quelle bonne et riche idée !
Sur Komitid, Clémence Allezard vous avait raconté la vie de Barbara Hammer, née en 1939 et disparue en 2019. Elle a filmé la sexualité lesbienne et s’est aussi investie contre l’invisibilisation des femmes lesbiennes dans l’art.
Didier Roth-Bettoni est un spécialiste de Derek Jarman, à qui il a consacré un livre : Sebastiane ou Saint Jarman, cinéaste queer et martyr (Erosonyx éditions, 2013). Né en 1942, Jarman veut lui aussi, dans son cinéma, redonner leur part homosexuelle à des personnalités historiques et artistiques.
Diffusé le 20 février sur France Culture, le documentaire « Derek Jarman et Barbara Hammer, une rencontre », fourmille d’archives et on peut y entendre avec émotion les voix de Jarman et de Hammer. Didier Roth-Bettoni s’appuie aussi sur les propos précis et engagés de deux spécialistes et activistes LGBT, Elisabeth Lebovici et Cy Lecerf Maulpoix pour replacer ces deux artistes majeurs au centre de notre histoire LGBT. Une émission à ne pas manquer !
Komitid : Comment t’es venue l’idée de faire « dialoguer » Barbara Hammer et Derek Jarman ?
Didier Roth-Bettoni : Je suis passionné depuis longtemps par l’œuvre de Derek Jarman auquel j’ai consacré de nombreux travaux. Il y a trois ans, un festival en Suisse m’a proposé de faire la programmation d’une petite rétrospective de ses films, mais aussi d’une autre rétrospective autour du travail de Barbara Hammer. Je savais qu’ils avaient des points communs bien sûr – le cinéma expérimental d’abord, dont ils sont tous deux issus, leur statut de pionnier·e·s queer… –, mais ce qui m’a sauté aux yeux ce sont les échos permanents entre leurs parcours, leurs engagements et leurs œuvres. C’était comme un dialogue à distance !
« Ce qui m’a sauté aux yeux ce sont les échos permanents entre leurs parcours, leurs engagements et leurs œuvres »
Qu’est-ce qui relie ces deux artistes dans leur travail mais aussi dans leur vie ?
Ils naissent à peu près au même moment (elle en 1939, lui en 1942). Ils découvrent tous les deux le cinéma via le Super-8 et le cinéma expérimental au début des années 1970. Dès leurs premiers films, ils ont à cœur de mettre en scène le désir et la sexualité LGBT. Ils se mettent tous deux en scène dans leurs films, utilisant leurs corps et leurs intimités sur un mode d’affirmation très puissant. Ils choisissent l’une et l’autre dans leurs longs métrages de donner une visibilité et une reconnaissance à l’Histoire invisibilisée des gays et des lesbiennes. Ils s’engagent dans de multiples combats, du féminisme à l’écologie, des droits LGBT aux luttes sociales. Ils affrontent tous deux, debout, la maladie et la mort – le sida pour lui, le cancer pour elle – et les transforment à la fois en œuvres et en actes politiques. Bref, même si leur art est très différent, ils ne cessent de se ressembler. Ils ont beau ne s’être jamais rencontrés, ils se parlent et échangent encore et encore. C’est pour cela que j’ai voulu forcer le destin et les faire dialoguer dans ce documentaire.
En quoi ces deux artistes sont-ils importants à la fois dans l’histoire du cinéma et dans l’histoire de l’activisme LGBT ?
Tu as raison de poser la question en ces termes car ils sont à la fois des cinéastes de premier plan qui ont renouvelé la forme cinématographique, et des activistes LGBT majeurs qui ont fait de leur art une arme puissante dans leur engagement en faveur des droits LGBT. C’est une double dimension finalement assez rare, ce qui les rend d’autant plus précieux. Leur importance à l’une comme à l’autre est multiple, mais il y a un point qui pour moi est fondamental : ils se sont efforcés, de film en film, de réhomosexualiser l’histoire de grands personnages historiques dont l’histoire officielle prétend qu’ils étaient hétéros… Ça a été le Caravage, le philosophe Wittgenstein, Shakespeare, le musicien Benjamin Britten, le roi Edward II pour Derek Jarman, tandis que Barbara Hammer faisait la même chose pour la photographe Claude Cahun, la romancière Willa Cather, la cinéaste Maya Deren ou Eleanor Roosevelt. C’est une démarche qui pour moi est véritablement essentielle : réécrire l’histoire sur un mode minoritaire, nous inscrire enfin dans cette grande histoire dont nos vies sont si souvent écartées, occultées.
« Derek Jarman et Barbara Hammer, une rencontre », de Didier Roth-Bettoni, réalisation Nathalie Battus, diffusé le 20 février sur France Culture
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