« L'Installation », sur France 2 : quand un couple de femmes reprend une exploitation agricole
La réalisatrice Agnès Poirier a suivi pendant un an Audrey et Lauriane, un couple de femmes qui reprend une exploitation de vaches laitières pas comme les autres. Un documentaire passionnant et sensible. Komitid a interviewé la réalisatrice et les deux agricultrices.
France 2 consacre ses programmes de la soirée à la condition paysanne et l’état de l’agriculture en France. Dans un premier documentaire passionnant, Nous paysans, qu’elle a co-réalisé avec Fabien Béziat, la réalisatrice Agnès Poirier (La Dernière moisson, Bienvenue dans la vraie vie des femmes), elle-même fille de paysans, retrace, à travers des témoignages d’agriculteurs et d’agricultrices et des archives inédites, cent ans de l’évolution de la France agricole, depuis les charrues du début du XXème siècle jusqu’à l’agrobusiness à grand renforts de pesticides…
Après un débat, son deuxième documentaire, plus intime, suit une année dans le parcours d’Audrey et Lauriane, deux femmes en couple qui s’apprêtent à reprendre une exploitation de vaches laitières au modèle alternatif située en centre Bretagne, à Kervily. Pour ce couple de femmes, l’installation n’allait pas de soi et il a fallu mener des formations sur le terrain. Une des forces du film est que pour la réalisatrice, le fait que ces nouvelles agricultrices soient lesbiennes n’est pas un sujet. Nous avons demandé à Agnès Poirier et au couple Lauriane et Audrey ce qu’elles retiennent de ce tournage et de l’importance de mener à bien des projets respectueux de l’environnement et des agriculteur.rice.s.
Agnès Poirier : « J’ai assisté à la naissance de deux agricultrices et c’est ce que le film raconte. »
Komitid : Agnès Poirier, comment avez-vous trouvé ce couple de femmes ?
La chance ! Je voulais faire un documentaire sur la transmission d’une ferme. Et je cherchais… une histoire. Un agriculteur pionnier, qui aurait expérimenté sur sa ferme depuis 30 ou 40 ans comment faire une agriculture plus autonome, plus respectueuse de l’environnement.
Je voulais que le jeune repreneur soit… une repreneuse. Une femme. Je voulais montrer l’élan qu’apportent les femmes dans l’agriculture. Un jour, on m’a parlé de Jean-Yves Penn qui allait transmettre sa ferme à des « parisiennes ». C’est comme ça qu’on m’en a parlé la première fois.
On s’est rencontré. Et ça a tout de suite collé.
Y a-t-il eu de leur part des réticences à apparaître dans le documentaire ?
Non au contraire. Je les ai sentis tous et toutes emballés par le projet.
Dans votre film, le fait que ce soit un couple de femmes n’est jamais un sujet…
En fait, ça n’en n’est pas un. J’ai aimé cette évidence. Ça ouvre un espace. On peut aller directement au sujet du film. La question était celle de la transmission, à des personnes non issues de l’agriculture. Une femme, un couple de femmes. Pour le couple de Jean-Yves et Babette, ça ne change rien en fait. Et moi j’ai trouvé ça super.
Le couple qui s’apprête à céder son exploitation a-t-il évoqué à un moment ou à un autre ce sujet ?
Non. Jean-Yves avait très envie de transmettre à une femme. Il dit dans le film que pour mettre en place ce qu’il a mis en place sur sa ferme, totalement en contradiction à ce qui se faisait à l’époque, il a fallu être tenace, cela a fait de lui à un certain moment un « paria ». Ça aurait déjà été un pied de nez de transmettre à une femme. Mais alors à deux ! Alors là chapeau ! C’est comme ça que je résumerais son état d’esprit. Il n’est jamais là où on l’attend.
Vous qui connaissez bien le monde paysan, quelles évolutions voyez-vous par rapport à l’homosexualité et sa perception parmi les agriculteur.rice.s ?
Je ne veux pas généraliser, avoir l’impression d’embellir. Je suis sûre qu’il y a des solutions compliquées… Mais Audrey et Lauriane sont tellement ancrées et tranquilles avec tout ça. Je me suis greffée sur cette « tranquillité » là. J’ai assisté à la naissance de deux agricultrices et c’est ce que le film raconte. Que ce soit un couple de femmes est tout à fait là. Ça fait partie de l’histoire mais ça n’est pas TOUTE l’histoire. Comme dans la vie en fait. Elles aiment vraiment les gens de cette région, de ce village. Et les gens le sentent, je crois. En tout cas, du côté des jeunes générations, je sens une véritable acceptation. Et ça me touche beaucoup. Même certains jeunes que j’ai interviewés pour Nous paysans, le premier film de la soirée, disent se retrouver complètement dans le parcours d’Audrey et Lauriane et ce sont de jeunes pères de famille, des profils complètement différents.
Lauriane et Audrey : « On a bien sûr entendu des rumeurs. Pas sur le fait qu’on soit un couple de femmes, mais sur le modèle développé dans cette ferme. »
Lorsqu’Agnès Poirier les a contactées pour le tournage de son documentaire, Lauriane, 39 ans et Audrey, 38 ans, n’ont pas hésité. Elles avaient compris l’importance de montrer qu’il est possible de s’installer aujourd’hui sur une ferme et de proposer un modèle différent, loin de la course au rendement et aux investissements coûteux. Lauriane et Audrey s’inscrivent dans le modèle mis en place par Jean-Yves et sa femmes Babette, plus respectueux des animaux, des saisons mais aussi des exploitants. Je les ai jointes par téléphone un soir à 20 heures, le 17 février, avant leur ronde auprès des vaches laitières en pleine saison des vêlages. Cette année, elles attendent la naissance de plus de 36 veaux d’ici trois mois. Ça va être sport !, lance Lauriane durant notre entretien.
Komitid : Comment vous avez-réagi à la proposition d’être filmées ?
Un peu d’appréhension dans le sens où c’est impressionnant d’avoir une équipe de tournage. Mais on pouvait oublier la caméra. Nous avions discuté avec Agnès de son projet qui est de faire partager aux gens une expérience : comment fait-on pour s’installer quand on n’est pas issues du milieu agricole.
Quand a eu lieu le tournage de « L’Installation » ?
Il a duré sur toute l’année 2019. Nous nous sommes installées le 1er janvier 2020. Audrey est restée en stage sur la ferme en 2019 pour faire tout le cycle du travail.
Le film ne fait pas un sujet du fait que vous êtes un couple de femmes. Mais quelles réactions avez-vous eu lorsque que vous vous êtes fait connaître pour préparer cette installation ?
Il y a eu deux types de réactions. Ceux qui ne sont pas du milieu agricole, qui n’y connaissent rien et qui du coup sont blindés de préjugés sur le mode : “ vous n’y arriverez jamais ”. Les gens du milieu, eux, ont toujours bien accueilli la nouvelle. Ce qu’ils voient, c’est la reprise d’une ferme et ils sont contents. On s’est installées sur notre secteur, les gens nous connaissaient. Audrey a beaucoup travaillé dans les fermes aux alentours, elle s’est faite une petite réputation.
Nous avons été très bien accueillies. On parle parfois des “ deux filles ”, du “ couple de filles ” mais on nous parle en tant que personne. On a bien sûr entendu des rumeurs. Pas sur le fait qu’on soit un couple de femmes, mais sur le modèle développé dans cette ferme. “ Le bio c’est du folklore ”, “ On ne nourrit pas les vaches avec de l’herbe ”, “ Des vaches qui font si peu de lait, c’est pas comme ça qu’elles vont gagner leur vie ”, on a entendu des choses se dire mais on ne s’arrête pas là-dessus. On communique sur les réseaux sociaux, une page Facebook pour rendre accessible le travail de la ferme. Parfois, on remet les choses à leur place, par rapport aux méthodes d’élevage.
Il y a une scène assez cocasse du film lorsque l’un des tracteurs tombe en panne…
On en a trois. Tous plus vieux que nous. Un des tracteurs a été acheté par l’exploitante qui a précédé le couple Jean-Yves et Babette. Nous sommes donc la troisième génération à l’utiliser !
Le Someca, c’est un vieux tracteur mais qui marche. Nous ne sommes pas à la recherche du matériel de pointe qui coûte la peau des fesses.
Y a-t-il des différences quand on est agricultrice ?
Ce qui saute aux yeux, c’est la capacité physique. Il y a forcément des choses qu’on ne peut pas faire comme un bonhomme c’est évident mais on le fait différemment. On met en place des stratégies et au final on y arrive quand même ! Il y a une réelle volonté des femmes de prendre leur place dans l’agriculture, des femmes qui se regroupent, je pense en particulier au mouvement Agri-actrices.
Comment avez-vous trouvé le résultat final ?
C’est vraiment un super film. ll est beau et la retranscription est parfaite. Agnès a une sensibilité de dingue. L’idée est de montrer que c’est possible de s’installer et c’est important, c’est génial. On ne se considère pas comme courageuses, c’est juste une envie, une rencontre.
Je ne résiste pas à la curiosité de vous demander ce que vous pensez de Delphine, la première candidate lesbienne de L’Amour est dans le pré ?
On n’a pas la télé mais on a regardé le lien que tu nous a envoyé. On la trouve rayonnante. Le moment qui m’a dérangé c’est quand la présentatrice lui demande à quel moment elle a pris conscience qu’elle aimait les femmes. On ne pose jamais cette question aux hétéros. Mais qu’il y ait une candidate lesbienne dans L’Amour est dans le pré, c’est top !
« L’Installation », un documentaire d’Agnès Poirier, mardi 23 février, à 23h35 sur France 2 puis en replay sur FranceTV
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