« L'Escale », un lieu d'hébergement pour femmes lesbiennes d'une « importance fondamentale »
« Vous avez vu la vue ? » : tout sourire dans son sweat blanc à capuche, « Fatou » montre à travers la fenêtre le Sacré Coeur illuminé dans la nuit, visible depuis « L'Escale », une colocation pour lesbiennes exilées en errance, inaugurée lundi 11 janvier.
« Ce lieu c’est un rêve pour moi », déclare la jeune Malienne de 22 ans, entre les murs blancs de sa chambre à « L’Escale », vierge encore de toute décoration et située au dernier étage du triplex qu’elle partage avec quatre autres jeunes femmes depuis quelques semaines.
Situé Butte Montmartre dans le 18ème arrondissement de Paris, ce logement de 125m2 a été mis à disposition de l’association Basiliade par la mairie de Paris, via son bailleur social Elogie-Siemp, pour y accueillir des femmes qui ont pour point commun d’avoir dû fuir leur pays en raison de leur orientation sexuelle.
« C’est, à notre connaissance, le premier logement social spécifiquement consacré à des lesbiennes en non-mixité en France »
« C’est, à notre connaissance, le premier logement social spécifiquement consacré à des lesbiennes en non-mixité en France », explique à Komitid Veronica Noseda, membre des Dégommeuses.
« C’est donc une grande première, qui permet à la fois de rendre visibles les parcours et besoins spécifiques des lesbiennes à la rue, mais aussi les solutions concrètes qu’on peut leur apporter ».
« On se sent en sécurité » à « L’Escale »
« Dans mon quartier au Mali, c’était dangereux pour moi, tout le monde me parlait mal, me montrait en disant “ c’est une lesbienne ” », raconte « Fatou », le visage fermé. En arrivant en France, « j’ai beaucoup souffert », confie-t-elle sobrement à l’AFP. « J’ai dormi dans la rue, j’ai fait la manche, là je n’arrive pas encore à réaliser que j’ai enfin un chez moi ».
Pour sa colocataire, Dylia, Algérienne de 25 ans, « le fait d’avoir un toit sur la tête » et d’être « entourée et accompagnée par des personnes qui nous comprennent », c’est « rassurant ». « On se sent en sécurité », ajoute cette étudiante en psychologie arrivée en France en septembre 2018. À « L’Escale », « on se sent comme une famille, on a le même but celui de s’en sortir, de s’assumer pleinement, d’être épanouies et d’être heureuses ».
Au-delà du logement, les cinq jeunes femmes, âgées de 19 à 28 ans, bénéficient d’un accompagnement social, médical, psychologique par l’association Basiliade. Pour créer ce projet, l’association a réalisé une recherche action auprès de jeunes LGBT+ en situation de précarité. « Pratiquement chacune des personnes participant à cette recherche – une cinquantaine environ – a témoigné du fait que trouver un logement stable et sûr, loin des dangers de la rue et à l’abri des discriminations, est une préoccupation majeure », précise Veronica Noseda.
« À l’issue de la recherche action, Basiliade nous a signalé un besoin de places d’hébergement pour des femmes réfugiées LGBT. Une fois ce diagnostic établi, nous avons proposé à cette association de lui mettre à disposition des logements. C’est le deuxième logement que nous donnons à Basiliade dans le cadre de ce projet », explique à Komitid Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris chargé du logement, de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugié.e.s.
Un deuxième logement à Paris
En septembre 2020, l’association a créé un premier site pilote pour exilés gays à Belleville. « Nous avons interpellé Basiliade pour que les lesbiennes ne soient pas les grandes oubliées de ce projet. Ils ont accepté de nous recevoir et discuter de nos préoccupations. Les échanges ont été parfois animés, mais très productifs : en un temps record, Basiliade a accepté de mettre à disposition de cinq lesbiennes — dont trois “ dégommeuses ” — l’appartement inauguré hier », nous confie Veronica Noseda.
« Il y a une saturation des dispositifs d’hébergement traditionnels et quand les personnes LGBT y trouvent une place, elles sont souvent victimes de discrimination, sont insultées ou agressées », relève Noémie Stella, doctorante à l’origine du projet.
« L’idée c’est vraiment de créer un lieu safe pour qu’elles puissent rester sans courir le risque d’être mises à la porte », ajoute-t-elle. « C’est la condition pour retrouver une estime de soi qui a été maltraitée, pour faire un parcours sur soi qui leur permet ensuite de voler de leur propres ailes et de sortir de la précarité ».
« C’est un projet dont nous sommes très fiers. Vis-à-vis de ces femmes, nous avons un devoir d’hospitalité », déclare Ian Brossat à Komitid. « Dans des centres généralistes, il arrive souvent que les personnes LGBT fassent l’objet d’agressions. On ne peut pas accepter que des personnes qui arrivent en France après avoir fui leur pays à cause des discriminations qu’elles subissent fassent l’objet de violences sur le territoire ».
D’autres logements vont ouvrir
Pour Veronica Noseda, « L’Escale » est d’une « importance fondamentale ». « Les lesbiennes précaires, lorsqu’elles sont accueillies dans des dispositifs généralistes comme des Centres d’accueil pour demandeuses d’asile ou des Centres d’hébergement d’urgence, peuvent faire l’objet de lesbophobie à la fois par d’autres résident.e.s mais aussi par des agent.e.s peu formé.e.s aux questions LGBT ».
« Pour préserver la sécurité et la sérénité de ces femmes, il nous semble que la non-mixité est un aspect crucial, d’autant plus que, par le passé, une “ dégommeuse ” nous a relaté avoir subi une agression sexuelle alors qu’elle était hébergée dans un dispositif mixte… pour personnes LGBT ! », déplore-t-elle.
Forte de ses deux sites, Basiliade espère désormais pouvoir ouvrir 16 autres appartements similaires — avec trois colocataires à chaque fois — afin de pouvoir loger les autres exilé.e.s LGBT toujours en errance dans la capitale.
Ian Brossat se félicite du projet lancé par l’association. « On va continuer de confier des logements à Basiliade. Je suis très heureux du travail qui est fait ». « La création d’un logement pour les réfugiés figure parmi les engagements d’Anne Hidalgo. Le projet n’est pas encore finalisé, mais nous avons déjà un lieu et il devrait se concrétiser d’ici deux ou trois ans », confie l’élu à Komitid.
Avec l’AFP
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