« Rocks », « Adolescentes », « Les Joueuses » et « Ema » : une semaine cinéma placée sous le signe du féminin
Ces quatre films sortis mercredi et à découvrir ce week-end en salles dressent un état des lieux ultra contemporain de la condition des femmes.
« Rocks », de Sarah Gavron
Dans Rocks, la réalisatrice britannique Sarah Gavron suit le quotidien d’une jeune fille de 15 ans qui doit faire face à la disparition volontaire d’une mère dépassée et s’occuper de son petit frère Emmanuel dans le but d’échapper aux services sociaux. Chronique vibrante et bouleversante, portrait d’une jeunesse anglaise diverse, aux racines lointaines et sans rêves d’avenir, le film, grâce à des partis pris de mis en scène affirmés et une farouche volonté d’immersion, offre un point de vue inédit sur Londres, jamais vue ou filmée comme cela. La jeune Rocks et sa bande de copines font souffler un vent de modernité joyeuse mais jamais vraiment léger tant le quotidien de la jeune fille est une épreuve permanente. À l’image de ce personnage central, le film est pudique, parfois brutal, toujours déchirant.
« Adolescentes », de Sébastien Lifshitz
Avec Adolescentes, Sébastien Lifshitz poursuit un travail documentaire passionnant avec son talent et sa délicatesse habituelles. Après les gays et lesbiennes du temps d’avant dans Les Invisibles, le portrait de l’artiste Bambi ou la fin de vie de la militante Thérèse Clerc avec Les Vies de Thérèse, le réalisateur français inaugure une nouvelle méthode en suivant pendant plus de cinq ans la vie de deux amies adolescentes qui vivent à Brive-La-Gaillarde en Corrèze : Anaïs et Emma que quasiment tout oppose. Anaïs vient d’un milieu populaire et vit au sein d’une famille qui n’a pas été épargnée par la vie, elle va s’orienter dans une filière professionnelle tandis qu’Emma qui vit dans une famille bourgeoise va suivre la voie générale en plus de ses cours de chant et de ses rêves de cinéma. De leurs 13 ans à leurs 18 ans, Sébastien Lifshitz va parvenir à s’immiscer dans le quotidien des deux jeunes filles et rendre compte de leurs moments de complicité comme de leur éloignement progressif, de leur façon tellement différente d’aborder la vie, de l’affirmation de leurs caractères et de leurs relations avec leurs parents. La durée de tournage joue son rôle et on sent vraiment que la caméra a pu être oubliée par les deux protagonistes qui se livrent avec pudeur mais sans fard notamment dans les moments charnières de leurs vies d’adolescentes : les épreuves scolaires et les diplômes, les premières amours et les premières fois. C’est un cadeau précieux que de pouvoir assister aux bouleversements de ces années si importantes, à la construction de soi de ces deux femmes si dissemblables liées depuis l’enfance. Le documentaire est passionnant, d’une beauté rare et d’un respect infini pour ces héroïnes.
« Les Joueuses », de Stéphanie Gaillard
Les autres héroïnes à l’honneur des salles de cinéma cette semaine sont un collectif, et que collectif ! L’équipe féminine de l’Olympique Lyonnais qui vient tout juste de remporter pour la septième fois la Ligue des champions de l’UEFA. La réalisatrice Stéphanie Gaillard s’est glissée au sein de l’équipe pendant la saison 2018/2019 pour un réjouissant portrait de groupe en immersion. L’occasion de faire le point sur les inégalités flagrantes entre hommes et femmes dans le monde du football professionnel mais également de dresser le portrait de certaines des plus grandes joueuses du monde qui, comme le rappelle le sous-titre du film, ne sont pas là pour danser ! Ce qui ressort de ce documentaire, c’est le manque de considération et de respect dont ont souffert ces joueuses qui commencent très jeunes en centres de formation avant de s’attaquer à des carrières nationales et internationales. Partant de leurs vécus, elles sont au centre d’une révolution, d’un changement de regard qui passent par la prise de conscience très forte du besoin d’assurer la transmission, de parler aux plus jeunes, d’accepter de faire office de modèles. Et elles le font formidablement bien !
« Ema », de Palo Larraín
Le dernier film de ce quatuor de rentrée est le nouvel opus du réalisateur Pablo Larraín, « prodige » du cinéma chilien à qui on doit, entre autres, No, Neruda, et le très beau Jackie avec Natalie Portman qui lui a valu des nominations aux Oscars. Ema, c’est le portrait impressionniste d’une jeune femme qui fait face à la culpabilité d’avoir rendu à l’orphelinat l’enfant adopté avec son ex-mari, Gaston, directeur de la compagnie de danse dans laquelle elle travaille. Si le film offre de vrais moments de cinéma grâce à des choix esthétiques forts qui impriment sérieusement les rétines, il peine à convaincre complètement. La faute à un récit artificiellement éclaté malgré un personnage principal féminin passionnant parce que pas franchement aimable, assez instable et radicale et qui va explorer les tréfonds de son âme et de sa sexualité.
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