Larry Kramer nous a appris que la colère peut être très bonne conseillère. Et c'est inestimable
Larry Kramer, mort cette semaine à l'âge de 84 ans, a toute sa vie combattu l'épidémie de sida et a inspiré des générations d'activistes.
Il y a des livres qui peuvent changer le cours de notre vie. Nous sommes en 1990, à New York. Je lis Reports from the Holocaust, The Making of an Aids Activist. A chaque page, la colère monte. Larry Kramer, l’auteur, décrit l’inexorable progression depuis 1981 de l’épidémie de sida dans la communauté gay, sa communauté. Kramer sait de quoi il parle.
En 1982, il a créé à New York le GMHC (Gay Men’s Health Crisis), la première association d’aide aux malades du sida. Cinq ans plus tard, il est à l’origine de la création d’Act Up New York. Entre temps, en 1985, sa pièce largement autobiographique, The Normal Heart, secoue la scène de Broadway.
Dans Reports from the Holocaust (toujours pas traduit en français…), chapitre après chapitre, Kramer égrène le nombre de morts et révèle les agissements de tous les complices de l’épidémie.
Ce qu’il dit ne plaît pas à tout le monde. Pour lui, juif et gay, les associations LGBT, à qui il s’adresse en priorité, n’ont pas pris la mesure du désastre de l’épidémie et il n’hésite pas à les accuser d’être complices elles-aussi. Son message principal est résumé dans un discours présent dans ce livre et qui dit en substance : Le pouvoir, c’est accepter la responsabilité.
Son livre m’apporte une autre information capitale : l’homophobie (un mot qui n’était pas encore beaucoup employé en France à cette époque) est largement responsable de la catastrophe. La réponse à l’épidémie est marquée par la négligence et l’apathie des administrations qui se succèdent : Ronald Reagan, George H.W. Bush, and le début de la présidence de Bill Clinton. Il démontre clairement que c’est parce que ce sont des gays, des usager.ère.s de drogue, des pauvres, qui meurent que l’épidémie n’est pas combattue à un juste niveau. À cela s’ajoute aussi l’appât du gain d’une industrie pharmaceutique, dont un des représentants explique en 1990 que le sida est un petit marché.
En France, le président de l’époque, François Mitterrand n’a prononcé le mot sida qu’au cours des années 90, plus de 10 ans après le début de l’épidémie.
Rien ne nous sera octroyé si on ne prend pas la rue, si on ne réclame pas les droits de manière disruptive et combative.
Mais ce qui me plait surtout dans ce livre, c’est ce cri d’amour, au delà de la colère, pour la communauté LGBT. Un cri qui n’a peut-être pas été vu comme tel à l’époque mais qui résonne encore aujourd’hui. Tout ce que nous obtiendrons, dit-il en substance, c’est parce que nous nous sommes battus. Rien ne nous sera octroyé, si quand tout est bloqué, on ne prend pas la rue, si on ne réclame pas les droits de manière disruptive et combative.
Ce livre vous met en mouvement
Une fois refermé, le livre de Larry Kramer vous hante encore longtemps. Et il vous met en mouvement. Il vous « apprend » à vous mettre en colère et à accepter que celle-ci est une force, pas une attitude négative. Pas comme le disait l’adage qu’elle est mauvaise conseillère. C’est après sa lecture que je décide de militer à Act Up. Pour prendre ma part de responsabilité. Mes amis les plus proches sont morts et rien ne pourra me consoler de cette perte. Mais qu’il me reste un an ou trente ans à vivre, alors autant le faire debout, pour toutes celles et ceux qui ne pouvaient pas ou plus agir. Pour ne pas mourir. Je suis heureux que, en partie grâce à ce livre, je puisse encore aujourd’hui être en colère.
#ThankYouLarry
Intervention de Larry Kramer en 1991
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