Enquête : les commerces LGBT+ dans l'incertitude face à la perspective du déconfinement
Après six semaines de confinement et donc de fermeture pour la quasi totalité des commerces et établissements LGBT+, Komitid fait le point.
Mise à jour, le 2 juin : Les bars et les restaurants ont réouvert ce jour, en suivant de strictes mesures sanitaires
Le 12 mars dernier, Komitid publiait une enquête sur les établissements LGBT+ face au Covid-19. Trois jours plus tard, le confinement était annoncé en France.
Après six semaines de confinement et donc de fermeture pour la quasi totalité des commerces et établissements LGBT+, Komitid fait le point.
Aucune date de réouverture annoncée
Rémi Calmon, Directeur du Sneg, le Syndicat national des Entreprises LGBT+, nous livre ses dernières informations. Tout d’abord, aucune date n’a encore été précisée pour la réouverture des bars et des restaurants.
« À ce jour, le gouvernement n’a aucune idée précise de la date de réouverture des bars et des restaurants. La date du 15 juillet annoncée par le Président Macron concerne uniquement les “ grands rassemblements ”, de type Marche des Fiertés). On collabore avec le Ministère du Travail sur l’élaboration de fiches métiers pour chaque secteur d’activité afin de redéfinir les conditions de travail des salarié.e.s et la fréquentation des établissements par la clientèle. Le but principal étant la conservation de la précaution sanitaire ».
C’est aussi le flou pour les établissements de rencontres sexuelles. « La gestion de la distanciation sociale dans les restaurants ou sur les terrasses de café sera contraignante mais possible. Pour les clubs, sex clubs et saunas c’est beaucoup plus compliqué mais le dispositif de l’État doit nous permettre de réouvrir ces lieux. »
Dans quel contexte ces lieux vont pouvoir réouvrir tout en respectant les principes de précaution sanitaire ? Rémi Calmon insiste sur le fait que cette situation est inédite et, comme tout le monde du travail, le Sneg gère cette crise au jour le jour en essayant de rassurer ses adhérents et de trouver des pistes de solutions économiques, fiscales et sociales adaptées au cas par cas.
« Les établissements de sexe pourraient réouvrir en conditionnant l’accès à une prise de température frontale ou un diagnostic sérologique du Covid-19. »
Il émet cependant une hypothèse : « Dans un premier temps, les établissements de sexe pourraient réouvrir en tant que débit de boissons en fermant de façon temporaire l’accès à leur backroom/zone cruising ou en conditionnant l’accès à une prise de température frontale ou un diagnostic sérologique du Covid-19. »
S’en remettre à la responsabilité individuelle
Il poursuit : « Si la Préfecture de Police décide de ne pas réouvrir les établissements de sexe, ce sera à nous d’expliquer aux pouvoirs publics qu’ils doivent s’en remettre à la responsabilité des exploitants mais aussi de la clientèle. N’oublions pas que beaucoup d’entre eux ont connu le pic de l’épidémie de VIH dans les années 80/90 et ont pris leurs responsabilités pour s’en protéger.
Les applications de rencontres n’ont pas été fermées pendant le confinement. On s’en est remis à la responsabilité individuelle des usagers. Ces lieux pourraient servir de lieux de rencontres et de sociabilité sans forcément “ consommer sur place ”.
L’interdiction totale et systématique de réouvrir ces lieux serait à la fois une injustice économique pour les exploitants mais aussi sociale pour les clients qui sont attachés à ces établissements. »
Par ailleurs, Rémi Calmon est ferme si la Préfecture ne cible que les établissements gays : « Le Sneg n’admettra pas une stigmatisation de la clientèle gay par rapport à la clientèle des lieux libertins hétéros ».
« On est inquiètes pour la suite car en tant que librairie LGBT+, notre clientèle vient de toute la France et même de l’étranger. »
Une librairie confinée
Qu’en est-il des commerces plus « classiques » ? Komitid s’est entretenu avec Christine Lemoine, une des deux fondatrices de la librairie féministe et LGBT+ Violette and Co, située dans le XIe arrondissement de Paris.
En novembre dernier la librairie avait annoncé sa décision de vendre mais Christine nous révèle que cette décision n’est plus d’actualité : « On a suspendu la vente en février (avant le confinement) pour des raisons personnelles. La librairie est fermée depuis le 15 mars mais on communique avec nos lecteurs via notre page Facebook. On a repris la semaine dernière les commandes de livres avec retrait à la librairie et ça a bien marché. On est inquiètes pour la suite car en tant que librairie LGBT+, notre clientèle vient de toute la France et même de l’étranger. Or, tout le monde sait que les déplacements vont être très limités dans les mois à venir ».
Maintenir le lien avec les clients
Pour d’autres, cette coupure imposé est l’occasion de faire des travaux d’embellissements comme nous explique Stéphane, Directeur du sauna IDM : « J’en profite pour repeindre et aménager l’établissement. La situation administrative est plus compliquée que prévue et les banques ne sont pas si “ cool ” que ça. Heureusement le Sneg et l’Enipse sont à l’écoute et c’est un soutien important pour nous ».
« Quand on est ouvert, on reçoit surtout des messages de gens qui râlent et depuis la fermeture, j’ai énormément de messages de soutien. »
Mais Stéphane reste optimiste et insiste sur l’importance de maintenir le lien avec son équipe et avec les clients : « L’équipe va bien. On garde le lien et on s’envoie souvent des petits messages. Ils sont pressés de revenir. Je m’occupe des réseaux sociaux pour maintenir le lien avec les clients. Ce qui est agréable c’est que quand on est ouvert, on reçoit surtout des messages de gens qui râlent et depuis la fermeture, j’ai énormément de messages de soutien. Les râleurs, on ne les entend plus ! Les gens ont bien compris qu’on serait les derniers à réouvrir et ils nous disent que le lieux et l’équipe leur manquent. S’ils me lisent, j’ai envie de leur dire : « Tenez bon, on s’active pour que réouverture soit belle et festive ! ».
Pour, Yannick Barbe, DJ et co fondateur de la soirée Menergy, maintenir le lien avec la communauté clubbing est également essentiel : « Quand le confinement est arrivé, on s’est posé la question de comment maintenir le contact avec notre communauté sur les réseaux sociaux. On a lancé « Menergy Loves » sur Instagram pour mettre en avant des artistes et des DJ. On poste aussi des mixes inédits sur notre page SoundCloud. De mon côté je fais des mixes en live sur Facebook et j’interagis avec les gens. »
Aucune visibilité sur l’avenir
Yannick demeure inquiet pour la suite : « Le plus difficile en ce moment est de se projeter. On est dans une incertitude totale. Les règles liées au confinement évoluent chaque semaine. C’est difficile d’anticiper la suite alors que d’ordinaire on prépare les bookings des DJs des mois à l’avance. Du coup on passe par des hauts et des bas. On se dit que si jamais, par miracle, les soirées reprenaient en août, ce serait un espèce de “ summer of love ” démentiel, happy et fraternel. Mais comment prévoir un évènement cet été alors qu’on a aucune visibilité sur le mois prochain ? ».
« Dans les annonces du gouvernement je n’ai pas entendu une seule fois le mot club. »
Même constat pour Michel Mau, le directeur artistique du sex-club Le Dépôt : « On est inquiets car on a aucune visibilité sur l’avenir et une date éventuelle de réouverture. Dans les annonces du gouvernement je n’ai pas entendu une seule fois le mot club. Pourtant les festivals, les clubs et tout le tissu festif contribuent à l’attractivité de Paris à l’international. Au Dépôt, on a entre 30 et 40 % de touristes en moyenne ».
Annulations en chaine
La plupart des Marche des fiertés prévues ce printemps/été ont été reportées voire annulées un coup dur pour les établissements LGBT+ qui voient leur chiffre d’affaire gonfler chaque année à cette occasion.
De son côté, Farid, organisateur de plusieurs croisières gays, notamment le festival « Pool Paradise Party », a dû se résoudre à annuler les croisières prévues cet été : « Malheureusement on a dû annuler tous nos évènements prévus cet été. C’est dur car on avait prévu de fêter nos 10 ans mais on ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque. L’association remercie ceux qui avaient prévu de venir et on espère vous revoir le 31 octobre pour la prochaine croisière Halloween si les conditions sanitaires le permettent ».
Des exploitants attachés à leur clientèle
Malgré tout, Rémi Calmon se réjouit de la solidarité qui s’est rapidement mise en place : « Il y a un nombre d’initiatives individuelles absolument colossal : des cagnottes en ligne, des systèmes de précommandes. » Il nous parle aussi de J’aime Mon Bistrot, un collectif de 14 prestataires qui ont créé un système de pré-réservation des billets d’entrées pour la réouverture des établissements tout en bénéficiant de réductions sur leurs boissons. En conclusion, il affirme : « Les exploitants sont attachés à leur clientèle, ils ont hâte de réouvrir pour les accueillir de nouveau. Les établissements LGBT+ sont des lieux essentiels pour maintenir le lien social dans notre communauté et c’est maintenant qu’ils sont fermés que beaucoup de personnes le réalisent ».
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