En Hongrie, le projet de loi transphobe de Viktor Orbán assombrit les espoirs de la communauté
Un projet de loi, publié au soir de la Journée internationale de la visibilité trans, annulerait la reconnaissance légale du changement d'état civil. Komitid a recueilli en exclusivité le témoignage de personnes trans hongroises très inquiètes.
Depuis le 30 mars et l’adoption d’une « loi coronavirus » en Hongrie par un Parlement majoritairement acquis à sa cause, le Premier ministre national-conservateur Viktor Orbán, tenant le pays d’une main de fer depuis dix ans et critiqué pour son autoritarisme, peut gouverner par décrets pour une durée indéfinie. Officiellement, il s’agit de fournir au gouvernement tous les outils législatifs afin de contenir au mieux l’épidémie, mais l’exécutif utilise parallèlement cette crise pour viser les personnes trans magyars.
Ainsi, un projet de loi du vice-Premier ministre Zsolt Semjén, publié au soir de la journée internationale de la visibilité trans, annulerait la reconnaissance légale du changement d’état civil, considérée comme un droit fondamental par la Cour constitutionnelle hongroise en 2018. Si ce texte était ratifié par l’Assemblée Nationale lors de la session du 4 au 7 mai, la Hongrie serait le cinquième pays européen avec Chypre, l’Albanie, le Kosovo et la Macédoine du Nord à appliquer ce régime discriminatoire.
Soixante trois eurodéputé.e.s ont envoyé une lettre au gouvernement magyar pour demander le retrait immédiat de cette législation controversée dite « article 33 ». Ce dispositif s’ajoutant à l’interdiction des études sur le genre et l’impossibilité pour les couples de même sexe de se marier compliquerait sérieusement l’existence de la communauté trans hongroise comptant trente mille personnes. Cinq personnes trans visibles et activistes concerné.e.s s’expriment en exclusivité pour Komitid.
Emma Molnár
Youtubeuse et influenceuse suivie par près de 52 000 abonnés sur Instagram, cette jeune femme de 23 ans n’arrive pas à digérer ce qu’elle considère comme un coup de poignard envers sa communauté.
« Quand j’étais petite, j’enfilais les vêtements de ma mère. J’ai énormément souffert à l’école, surtout en primaire. Les autres enfants me brimaient physiquement et moralement. Vers 12-13 ans, j’ai dit à ma mère que je voulais devenir une fille. J’ai acheté mes premières hormones illégalement sur internet. En octobre 2014, j’ai enfin accompli ma transition. Les psys se sont montrés gentils et vu que mon projet était mûrement réfléchi. Néanmoins, je ne me suis pas inscrite à l’université par peur des préjugés. Je suis partie deux ans en Angleterre pour fuir une situation qui me déplaisait déjà. Là-bas, j’ai bossé dans un café, travaillé comme community manager, produit des contenus en ligne… Je n’étalais pas ma différence auprès de mes collègues mais la société était clairement plus ouverte. Dans la rue, les gens portaient des tenues plus excentriques. Les couples homos, lesbiens ou trans marchaient tranquillement main dans la main.
Si ce projet de loi se concrétisait, ce serait un énorme retour en arrière. J’aurais toutes les peines du monde pour trouver un job avec un corps de femme et des papiers d’homme. Sérieusement, que veut ce gouvernement ? Que la moitié de la communauté déménage et l’autre se suicide ou se retrouve au chômage ? Aujourd’hui, je suis quelques mois chez ma grand-mère le temps de passer mon permis de conduire mais mon avenir n’est pas en Hongrie. Je suis vraiment triste de voir mon pays en arriver là. »
Adél Ónodi
Première femme trans propulsée en couverture d’un magazine féminin en Hongrie, cette jeune apprentie-comédienne installée à Berlin s’indigne de la passivité de ses compatriotes magyar.e.s.
« Ce projet de loi est néfaste car il rayerait la reconnaissance légale du changement de sexe d’un coup de crayon. Le texte veut nous effacer, mais nous continuerons d’exister. Vu qu’Orbán vient d’obtenir les pleins pouvoirs, il est très probable que cette législation passe comme toutes les autres qui arriveront jusqu’au vote. En ce qui me concerne, ma transition est achevée. Je suis Adél et femme selon tous mes papiers mais ce texte risque de tout chambouler s’il devait s’appliquer rétroactivement.
Honnêtement, je reste abasourdie de voir que le gouvernement hongrois peut encore et toujours influer sur mon existence jusqu’à l’os alors que j’habite Berlin. Ma vie basculerait brutalement si on me redonnait une carte d’identité d’homme. La dépression me guetterait immanquablement au quotidien. Voire l’idée du suicide. Mon seul recours juridique serait d’obtenir la citoyenneté allemande ou celle d’un autre pays acceptant légalement ma situation et de renoncer à ma nationalité hongroise.
Quel que soit le verdict du Parlement, ma décision est d’ores et déjà prise. Homme hongrois et femme allemande, t’imagines ? Cette triste histoire, c’est le résultat d’années de passivité et d’indifférence en Hongrie. Les Hongrois se fichent de ce qui ne les concerne pas directement. Aujourd’hui, priorité au magyar blanc hétéro pour fonder des familles et assurer la survie du pays. Après ça, il ne lui restera qu’à fermer la porte derrière lui car il pourrait être le dernier de son espèce. »
Ivett Ördög & Atanáz Tálos
Ensemble depuis l’Europride de Vienne en juin dernier, ce couple ayant échangé son premier baiser dans la capitale autrichienne s’inquiète de voir la loi annihiler leur transition commune.
Ivett : « Quand j’ai vu passer l’info sur ce projet de loi, j’ai lutté de toutes mes forces pour ne pas tomber en sanglots tout en raisonnant sur internet mes camarades qui songeaient au suicide. Il faut une méchanceté inimaginable pour prendre une décision aussi traumatisante susceptible de faire penser à des êtres humains que le suicide est la meilleure option. Je me bats depuis près de deux ans pour être reconnue dans mon genre mais mon dossier est au point mort. Quand je vais chercher des médicaments à la pharmacie ou un recommandé, c’est à chaque fois le même parcours du combattant malgré mon aspect de femme sur mes photos de papiers d’identité. Le texte de la loi part du principe que nos genres sont clairement déterminés mais cela n’a rien de véridique du point de vue biologique. »
Atanáz : « J’ai commencé ma thérapie il y a seulement quelques semaines mais je sais qu’être trans implique de lutter sur des années pour que ta famille et tes amis acceptent la personne que tu deviens. La transition s’accompagne d’une anxiété, d’un sentiment d’invisibilité présents au quotidien et d’innombrables remarques désobligeantes. Sur le long terme, les ressources mentales s’épuisent et les trans comptent sur la reconnaissance légale du changement de sexe pour commencer leur vraie vie. Supprimer cette possibilité, c’est ruiner l’espoir d’une transition entièrement accomplie. Peut-être que tu auras entamé une thérapie, mais la moindre démarche administrative te rappellera l’entre-deux dans lequel tu es. Pour beaucoup, cette perspective peut réveiller des pulsions autodestructrices. »
Alex Fajt
Alex Fajt
Connu il y a quelques années pour son rôle de lesbienne dans un feuilleton populaire, ce youtubeur de 25 ans estime que les trans hongrois sont désarmés face au gouvernement conservateur.
« En Hongrie comme à travers le monde, la plupart des gens craignent les personnes trans car ils n’en connaissent pas dans leurs entourages proches ou lointains. Si nous étions privés de traitements hormonaux, beaucoup de trans quitteraient le pays pour acheter des médicaments illégaux – et dangereux – ou mettraient fin à leurs jours car nous sommes très exposés au suicide. Le gouvernement profite de l’épidémie pour nous cibler en exploitant ses pleins pouvoirs qui désintègrent la démocratie.
Je suis vraiment triste car l’exclusion et la persécution attendent mes camarades qui n’habitent pas dans des grandes villes, où les idées occidentales sont plus imprégnées chez les jeunes et les moins jeunes générations. J’entends des tas d’histoires sur combien il est difficile de trouver un job ou d’avoir des ami.e.s en province. L’État nous pointe du doigt et donne un blanc-seing aux personnes qui voudraient nous tuer ou nous agresser. Une pétition ou un texte superbement rédigé ne suffiront pas.
Le monde ne viendra pas en aide aux trans maintenant, surtout dans un petit pays comme la Hongrie. Les Hongrois ont des problèmes mille fois plus importants, comme par exemple la perte de leur emploi en cette période de crise, que le combat pour les droits des personnes trans. Dans ce contexte difficile, nous ne pouvons rien faire d’autre que nous soutenir mutuellement afin de défendre notre communauté. Nous devons lutter pour ce droit humain élémentaire d’être ce que nous désirons être. »
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