3 questions à Clémence Allezard, auteure du documentaire radio « Sortir les lesbiennes du placard »
Komitid a rencontré la journaliste Clémence Allezard pour évoquer avec elle la genèse de cette série documentaire personnelle et universelle, passionnante et nécessaire, hautement recommandée par la rédaction.
Évoquer le besoin de représentation des lesbiennes, leur rôle majeur dans les luttes féministes, leur invisibilisation et leur persécution, écrire une partie de cette histoire manquante, c’est la mission que s’est fixée la journaliste et productrice Clémence Allezard pour cette série en quatre épisodes diffusés sur France Culture à partir du lundi 4 novembre.
Komitid l’a rencontrée pour évoquer avec elle la genèse de cette série documentaire personnelle et universelle, passionnante et nécessaire, hautement recommandée par la rédaction.
Komitid : Vous aviez déjà réalisé un documentaire radio sur la romancière et militante féministe Monique Wittig. On peut dire qu’elle est la figure tutélaire de cette série ?
Clémence Allezard : Complètement ! C’est le spectre qui hante toute la série. De façon intime et intellectuelle, ses écrits m’ont portée et les personnes que j’ai interviewées ont, elles aussi, mobilisé Wittig, de façon politique mais également affective. Notre histoire est faite de différents affectifs, de déchirements politiques.
« La pensée lesbienne a toujours été invisibilisée parce qu’elle dérangeait même dans les sphères féministes. »
Dans l’histoire des minorités, cette question des figures, de la représentation et de l’amour qu’on leur porte est centrale. Sa trajectoire est très emblématique de par la façon dont elle a été ostracisée, pas étudiée à l’université ou dans les lieux de transmission en général, malgré la reconnaissance que représente le Prix Médicis ou le fait qu’elle soit publiée par les prestigieuses Éditions de Minuit en pleine période du « Nouveau Roman ». La pensée lesbienne a toujours été invisibilisée parce qu’elle dérangeait même dans les sphères féministes.
Comment avez-vous travaillé pour établir les quatre lignes de force de la série (représentations, féminismes, communauté et persécutions) ?
C’est éminemment subjectif, je n’ai jamais visé l’exhaustivité, c’était impossible. C’était important de parler de féminisme et de raconter cette scission, les représentations étaient une porte d’entrée concrète sur le sujet de l’invisibilisation, ce que cela produit sur nos corps et comment on y a répondu en étant forces de propositions cinématographiques et littéraires par exemple. Le manque d’image était central, comme un point de départ. Le sujet de la communauté s’est imposé par hasard suite à ma rencontre avec Suzette Robichon qui était une proche de Wittig et qui m’en a parlé et j’en ai découvert beaucoup partout dans le monde. Cela raconte les impossibilités des lesbiennes de vivre dans les mouvements féministes comme dans la ville, ce ne sont pas que des refuges mais des lieux d’expérimentation. Se mettre à l’écart de la société tout en continuant à essayer de la réinventer, je trouve ça très lesbien ! Et on ne peut pas raconter une histoire minoritaire, lesbienne, sans parler de répression. Ces quatre épisodes, ces portes d’entrée racontent des mécanismes qui reviennent : l’invisibilisation et la menace potentielle que représentent les lesbiennes dans leur refus d’un certain ordre établi ou hétéro-patriarcal. Cela revient souvent que ce soit dans les propos de Céline Sciamma ou à travers la figure de Wittig.
« J’espère que cette série est surtout un point de départ pour de nombreuses autres productions, de documentaires, d’articles. »
À travers ces quatre thèmes, interviennent des profils très différents que ce soit en termes de générations, d’origines. Il y a énormément de matière, de quoi envisager une suite ?
Oui, il y a pas mal de rushes mais il me semblait que cela devait absolument s’écrire comme un récit choral. Ce n’est pas moi qui dit « voilà ce qu’est l’histoire lesbienne », il n’y pas d’autorité narrative ! Il fallait plusieurs voix, plusieurs sensibilités, c’était essentiel.
J’espère que cette série est surtout un point de départ pour de nombreuses autres productions, de documentaires, d’articles. Il y a mille choses à aller fouiller encore pour chacun des sujets. Sur les luttes contemporaines, beaucoup de choses restent à dire, cela a été un peu frustrant au vu de mon angle historique. J’aurais beaucoup aimé parler de la presse, des magazines depuis les années 70 jusqu’à Well Well Well aujourd’hui, c’est une histoire très riche également. Je ne sais pas s’il y aura une saison 2 mais, en tout cas, j’ai des choses à proposer et j’espère que d’autres s’empareront du sujet. Quand on parle d’invisibilisation, et sans vouloir donner lieu à du complotisme, on doit interroger le processus d’invisibilisation, cela raconte quelque chose de la norme, de qui fabrique les images, de qui raconte l’histoire.
« Sortir les lesbiennes du placard », diffusion du lundi 4 au jeudi 7 novembre à 17 heures sur France Culture dans le cadre de l’émission La Série Documentaire. Puis disponible en podcast sur franceculture.fr
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