Tahnee : « Dans le spectacle, je fais une métaphore du coming out, je confie mes peurs, mais en réalité, tout s'est bien passé »
Chti, antillaise et lesbienne, “Tahnee, l’autre” joue son spectacle tous les mardis à la Comédie des Trois Bornes, à Paris. Portrait d’une jeune humoriste dont Komitid est totalement fan.
Il y a des interviews auxquelles on se rend à reculons et d’autres qu’on attend avec impatience. Celle de Tahnee appartient à la seconde catégorie. Plusieurs fois, déjà, nous nous étions dit qu’il fallait écrire son portrait. D’abord quand, en une semaine, trois amies nous avaient parlé d’elle avec la même emphase.
Ensuite lorsqu’un dimanche de manifestation, nous l’avions croisée la gueule un peu en vrac mais suffisamment d’équerre pour venir battre le pavé.
À peine avons-nous su qu’elle se produirait, dès le mois de septembre, tous les mardis à la Comédie des Trois Bornes que nous avons sauté sur l’occasion. Message Facebook, coup de fil. « Salut Tahnee, on se rencontre ? » « Bien sûr, passe lundi ! », a été sa réponse.
Coming-out comédie
« Tahnee, l’autre », est le titre de son spectacle. À vingt-neuf ans, celle qui a choisi son nom de scène par défaut – une autre humoriste, elle aussi lesbienne, s’appelle déjà Tahnee – commence à se tailler une belle réputation dans les milieux militants et au-delà. En janvier dernier, France O la présentait comme « la relève de l’humour engagé » ; en juin dernier, elle a coprésenté la cérémonie des Out d’Or, rendez-vous de la visibilité LGBTI+ organisé par l’Association des journalistes LGBTI (AJL).
Nous sommes le 2 septembre. À huit jours de la première, elle répète à la Comédie des Trois Bornes, petite salle du onzième arrondissement où elle nous a donné rendez-vous. La porte s’ouvre. La salle est obscure. On interrompt un peu. Tahnee nous présente Sibylle de Montigny, sa metteuse en scène, et reprend le travail.
Son spectacle dure une heure ; nous en verrons la moitié, suffisamment pour confirmer les – bonnes – critiques glanées ici et là. Le show est rythmé, définitivement politique, fin et drôle. « Les grands thèmes, c’est mon métissage, le fait que je sois lesbienne et l’écologie », précise l’intéressée. Enfance en Normandie, ses cheveux, la libération de se découvrir lesbienne, la peur de devenir la référence LGBT au travail : chaque scène qu’elle croque frappe juste, à la fois unique mais finalement universelle. Un thème occupe une place centrale : le coming out., sourit Tahnee moins d’une heure plus tard, assise à la terrasse d’un bar de la rue des Métallos.
« Les grands thèmes, c’est mon métissage, le fait que je sois lesbienne et l’écologie »
De la Normandie à Paris
« Chti et antillaise », Tahnee a grandi à Bernay, dans l’Eure, entre les maisons à colombage et une ribambelle d’églises typiques des villages de Normandie. Sa mère est professeure de sport. Son père, informaticien. « Il y avait deux familles noires dans tout le village, se souvient-elle. Une de leur fille avait mon âge. On nous confondait tout le temps ».
En cinquième, sa famille part à Tours. Tahnee y restera jusqu’à la fin de sa classe préparatoire avant de finir ses études à Lyon dans une école d’ingénieur. Elle y découvre le théâtre. Sur les planches, elle s’éclate et se forge au passage des amitiés toujours partagées – dont Sybille, sa metteuse en scène qui prend un verre avec nous. « Tu te rappelles quand tu nous as annoncé que tu étais lesbienne ? », interroge Sybille. L’intéressée sourit : « C’était un week-end entre filles. J’avais super peur, pour rien en plus ».
Arrivée à Paris en 2012, la jeune femme rejoint d’abord la Ligue d’Improvisation de Paris. Elle y reste cinq ans et y découvre une nouvelle manière de faire de la comédie. « C’est par l’improvisation que je me suis vraiment épanouie », analyse-t-elle aujourd’hui. En même temps, elle découvre le Paris lesbien. « Je me rappelle ma première Flash-cocotte, à l’époque où c’était la soirée queer en vue. Voir tous ses gays, toutes ses lesbiennes, j’avais l’impression que j’étais chez moi », raconte-t-elle les yeux brillants. Elle ajoute : « Je voulais monter sur scène, faire du stand-up, mais je ne savais pas vraiment quoi dire. J’ai fait mon coming-out, j’ai vécu des trucs et j’ai su de quoi j’allais parler ».
Shirley Souagnon : « Tahnee a un style, un regard qui m’a tout de suite frappé quand je l’ai vu sur scène »
Engagement militant
A la rentrée 2017, Tahnee arpente les scènes de stand-up parisienne. Les choses prennent vite de l’ampleur. Un copain stand-uper la branche avec Shirley Souagnon qui lui propose de se produire lors d’une scène stand-up en parallèle de l’Afroprunk, plus important festival afro de Paname. « Tahnee a un style, un regard qui m’a tout de suite frappé quand je l’ai vu sur scène », confie Shirley à Komitid. Elle est confronté aux discriminations depuis longtemps mais elle n’a pas l’aigreur qui peut arriver quand on est confronté à ça. On a besoin de cette douceur, de cette fragilité, de ce regard tendre malgré tout. »
Lauréate quelques mois plus tard du tremplin Propulsion, un dispositif de la ville de Paris réservé aux jeunes artistes, Tahnee jouera quelques dates dans des salles parisiennes ce qui lui permettra, ensuite, d’être repérée par la Comédie des Trois Bornes.
Franchement militante, Tahnee ravit dans un milieu où les artistes LGBT+ sont souvent frileux à l’idée de revendiquer quoi que ce soit. « Je veux porter une parole militante, montrer à voir ce qu’est notre milieu », assène l’humoriste. Elle s’investit logiquement dans des luttes politiques. Régulièrement invitée à participer à des festivales afro féministes ou queer, elle participe aussi au lancement de Selfish, des scènes ouvertes réservées aux femmes ainsi qu’aux personnes trans et non-binaires. Elle fait aussi partie des fondatrices de Comédie love, « soirée Stand up safe, féministe et solidaire », initiative en partie motivée par l’expérience qu’à Tahnee du monde du stand-up. « L’énergie qu’il y a dans Comédie Love, c’est quelque chose de vraiment important », confie Shirley Souagnon avant d’enchaîner. Tahnee entreprend, créé et c’est vraiment précieux ».
À l’heure où certaines salles de stand-up continuent de ne programmer qu’une seule fille par soir, créer de nouveaux espaces apparaît en effet comme une nécessité. « Quand tu es la seule fille, que tu passes après trois heures de blagues sexistes, homophobes, tu n’as pas envie de revenir ! », explique Tahnee. À coup sûr, son show à elle vous donnera envie de revenir.
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* L’auteur de l’article est membre de l’AJL
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