« Mes années hétéro » : le récit intime et documenté de la vie d’un gay dans le placard dans les années 60

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Ce récit bienveillant d’un destin qui ressemble à beaucoup d’autres brille par l’authenticité avec laquelle Hugues Barthe construit le personnage de Rémi.

« Mes années hétéro », de Hugues Barthe

Comment beaucoup d’hommes et de femmes de la génération du baby-boom ont-ils et elles vécu leur vie dans une société qui les invisibilisait et leur intimait de rentrer dans le rang de l’hétérosexualité ?

Le destin de Rémi

Pour répondre à cette question par un récit intime et documenté, l’auteur de bande-dessinées Hugues Barthe (qui a déjà travaillé sur le sujet avec le personnage du Petit Lulu créé pour la revue Hercule et la toison d’or, ou encore l’album Jean-François fait de la résistance qui racontait en 2004 sur la « montée à Paris » d’un jeune homo) s’est appuyé sur plusieurs témoignages pour raconter le destin de Rémi, personnage fictif, symbole de la vie cachée de pas mal d’homosexuel.le.s de sa génération, celle d’avant la dépénalisation de 1982, d’avant la « joyeuse dénomination » de gay.

« Une fille manquée »

Rémi grandit en province, à Yvetot, dans les environs de Rouen, ses parents sont commerçants, dans le textile. Jeune homme réservé qui aime lire des livres et passe aux yeux de son père pour une « fille manquée », Rémi découvre assez tôt son attirance pour les garçons, notamment avec son meilleur ami Antoine, à 14 ans. Ado dans les années 60, il regarde avec un mélange d’admiration et de crainte son frère plus viril – selon les critères encore très stéréotypés de l’époque – et plus libre. Il porte également un regard sur les hommes plus âgés, eux aussi vivant leur masculinité selon les critères de l’époque, sur, dit-il, « une planète inaccessible, celle des hommes qui se tapent dans le dos ».

Lorsque la cause LGBT commencera à se faire entendre, il se sentira un peu exclu

Vers 17 ans, il devient une sorte de tombeurs de filles, et enchaîne les figures imposées de l’époque : service militaire, mariage avec Brigitte, enfants … avec expéditions dans les lieux de drague gay anonymes où se croisent de nombreux hommes ayant la bague au doigt. Lorsque la cause LGBT commencera à se faire entendre, il se sentira un peu exclu, mis à l’écart des avancées qui ne le concernent finalement pas d’aussi près qui le souhaiterait. Mais il parviendra à assumer qui il est, à en parler à ses proches et à trouver l’amour auprès de Pascal pour enfin vivre au grand jour.

Comment vivre sa vie en aimant sa femme et ses enfants sans se sentir tout à fait à sa place ? Comment affronter ses réels désirs et prendre sa place dans le monde sans se mentir à soi-même ? Ce récit bienveillant d’un destin qui ressemble à beaucoup d’autres brille par l’authenticité avec laquelle l’auteur a construit le personnage de Rémi. Dans Mes années hétéro, Hugues Barthe dresse le portrait d’un homme plein de doute, d’intelligence, qui est aussi complètement lucide. Mais également celui d’une époque, les années 60 et 70 qui, si elle fut celle de la modernisation à grandes enjambées de la société pour un style de vie plus libéré ont mis du temps à imposer leurs effets sur tout le monde.

L’introspection et les questionnements intimes de Rémi sonnent toujours juste et les ellipses sont plutôt intelligemment maîtrisées. Le trait est fin, simple et élégant tout comme le regard porté sur ce personnage de fiction plus vrai que nature.

Mes années hétéro, de Hugues Barthe, éditions Delcourt, 192 p., 17,50€

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