« Portrait de la jeune fille en feu » : Ni muse, ni soumise !
Le quatrième film de Céline Sciamma après « Naissance des pieuvres », « Tomboy » et « Bande de filles » est une œuvre puissante, politique et bouleversante.
Prix du scénario et Queer Palm lors du dernier festival de Cannes, Portrait de la jeune fille en feu, le quatrième film de Céline Sciamma (après Naissance des pieuvres, Tomboy et Bande de filles) est une œuvre puissante, politique et bouleversante. Avec ce récit d’un amour fulgurant entre deux femmes, une peintre et son modèle, au 18ème siècle, la réalisatrice française crée, à l’image du Carol de Todd Haynes, un chaînon manquant dans la représentation des destins féminins et lesbiens. Déconstruction, sororité et incandescence infusent ce classique immédiat.
Pour Adèle Haenel
Céline Sciamma le répète à l’envie depuis la première projection de son film au Festival de Cannes en mai dernier. Le personnage d’Héloïse a été créé pour Adèle Haenel et cette démarche d’une réalisatrice vers une comédienne dont elle est proche et qui incarnait le personnage principal de son premier film offre au Portrait de la jeune fille en feu sa dimension méta. Une œuvre qui déconstruit l’idée même de la muse.
Loin d’être une modèle idéale, la jeune Héloïse (Adèle Haenel donc, puissante et droite) refuse le mariage arrangé que lui impose sa Comtesse de mère (Valeria Golino, figure tutélaire flottante d’un monde pré-révolutionnaire) tout comme l’idée du portrait, premier pas concret vers l’acceptation de cette vie toute tracée.
Quand Marianne (Noémie Merlant, exceptionnelle d’intensité), jeune peintre, arrive dans l’île bretonne isolée qu’habitent la Comtesse, Héloïse et leur servante Sophie (la jeune découverte Luana Bajrami, toute en émotions tues), elle a une mission : se faire passer pour une dame de compagnie pour réaliser enfin, en secret, le fameux portrait. Mais la rencontre progressive entre les deux femmes, faite d’observation réciproque, de complicité intellectuelle et de réveil sensuel va les précipiter dans une passion courte, intense, incandescente et inoubliable.
Regard réciproque
En racontant l’histoire de ce regard réciproque, de la construction chaotique de cet amour au temps compté, Sciamma pose la question de la relation entre l’artiste et son modèle, qui loin d’être un objet passif s’offrant au regard, agit directement sur l’œuvre finale, par la réciprocité de celui-ci, par sa personnalité, sa réflexion et ses sentiments. Dans cet univers à la croisée d’une sensualité rugueuse façon La leçon de piano et du romantisme moins sombre de Titanic, Céline Sciamma diffuse un regard, le sien, à la fois féminin et sororal qui fait fi des convenances de genre, et prend de la hauteur quant aux normes sociales et religieuses de cette société de la fin du 18ème siècle.
Céline Sciamma diffuse un regard, le sien, à la fois féminin et sororal qui fait fi des convenances de genre
C’est là que le film prend sa dimension intemporelle de classique immédiat. Évoquer les problématiques féminines (la position de la femme artiste, le choix d’être mère ou pas, l’impossibilité de l’amour lesbien, …) dans un contexte d’époque permet de mesurer leurs absences flagrantes dans les récits pseudo-fondateurs de la grande Histoire comme leur minoration par la société contemporaine. La force de ce Portrait de la jeune fille en feu est à la mesure de cette réhabilitation via les ressorts de l’intimité et de son affirmation politique : percutant, déchirant et inoubliable comme le souvenir d’un amour perdu, beau, puissant et destructeur comme le feu intérieur et éternel qui maintient en vie.
« Portrait de la jeune fille en feu », de Céline Sciamma
Avec Noémie Merlant, Adèle Haenel, Luàna Bajrami plus
Sortie le 18 septembre 2019
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lolacoole
Le cinéma ne doit pas être traité comme un morceau de vie, mais comme un morceau de gâteau.
Alfred Hitchcock. Sommes-nous d’accord pour dire que cela s’applique aux https://skstream.tube films? -
lolacoole
de l’intimité et de son affirmation politique