Komitid a rencontré Marion, porteuse de trisomie, lesbienne, et animatrice d’ateliers à la vie sexuelle et affective
Komitid a rencontré Marion à Agen, où la jeune femme prépare des ateliers d'information et de sensibilisation.
Marion est une femme de 28 ans, lesbienne, qui espère trouver l’amour un jour. Elle sait que ce n’est pas facile. Elle a voulu échanger, découvrir, comprendre comment on rencontre quelqu’un, comment on tombe amoureux, comment on fait l’amour. Maintenant qu’elle a appris, elle veut transmettre. Elle est ainsi devenue animatrice d’ateliers sur la vie affective et sexuelle à destination de personnes comme elle. Marion est porteuse de trisomie.
Tout a commencé avec une question. « Si je fais un bébé, est-ce qu’il sera comme moi ? », se demande Marion. En 2015, âgée de 24 ans, cette jeune femme pousse la porte d’un groupe de parole tout juste créé à Agen, pour trouver sa réponse. Depuis, elle est devenue animatrice d’un projet de sensibilisation à la vie affective et sexuelle à destination des personnes qui ont le syndrome de Down. Une première en France : si depuis quelques années on aborde enfin la question des relations amoureuses et intimes avec ces personnes, jamais on ne leur avait donné la parole, jamais on ne les avait rendus acteurs et actrices de leur vie sexuelle et affective.
Même handicap
C’est chose faite avec Mes Amours. Ce programme franco-suisse a formé des binômes en France, composés d’une personne porteuse de trisomie, et d’une non porteuse, de préférence un professionnel dans le domaine. Marion forme ainsi un duo uni et complice avec Julie Fauré, psychologue au sein de l’association Trisomie 21. Elles se sont rencontrées il y a trois ans, dans ce groupe de paroles que Julie co-anime avec une sage-femme.
Elles ont ainsi mis au point, avec les autres binômes et les investigateurs du projet, une série d’outils qui servent désormais de support lors de leurs interventions. Pour l’atelier sur la contraception et les maladies sexuellement transmissibles, Marion a notamment proposé de faire la démonstration de la pose d’un préservatif, ou de montrer à quoi ressemble une plaquette de pilules. Le public visé ayant une déficience intellectuelle, ils ne sont pas tous et toutes forcément aptes à lire, et n’ont pour certain.e.se aucune connaissance à ce sujet.
Lors de notre rencontre, Marion montre un à un les divers ateliers, pour faire une démo express. Deux silhouettes grandeur nature se tiennent devant elle. « Elles sont déshabillables, explique-t-elle en enlevant les faux vêtements format magnets. « C’est pour parler de l’anatomie ». Plus loin, il y a aussi une silhouette neutre. « On montre les parties du corps où on voudrait bien qu’on nous touche », continue-t-elle en pointant la poitrine et les parties génitales, ainsi que la bouche. Il y a aussi des vidéos qui permettent d’aborder diverses questions comme celle du consentement.
Droits et interdits
Mais le préféré de Marion, c’est le tableau des droits et des interdits. Il s’agit de montrer des images ou de donner des exemples de la vie courante, et de savoir si c’est légal ou illégal, en somme. Par exemple, « Est-ce que deux hommes ou deux femmes ont le droit de s’aimer ?” » lit Marion sur le petit panneau qu’elle tient entre ses mains. Cet exemple n’est pas pris au hasard. Si elle se cache parfois derrière ses cheveux châtains quand on parle de pratiques sexuelles, répétant avec amusement et gêne « Oh là là », la jeune femme relève au contraire fièrement la tête quand on aborde l’homosexualité.
Découvrir le droit d’aimer une femme
Marion aime les femmes. Même si elle n’a pas encore vécu une relation amoureuse, ni même un flirt avec l’une d’elle. « J’aimerais rencontrer quelqu’un, mais je prends mon temps, étape par étape, je crois que c’est le principe », glisse-t-elle.
Des étapes, Marion en a déjà franchi dans sa vie amoureuse. D’abord en découvrant les émois des premiers amours, des garçons rencontrés à l’IM Pro (Institut médico-professionnel, dédié aux personnes avec un handicap mental de 14 à 20 ans), en vacances ou à l’ESAT (Etablissement et Services d’Aide par le Travail), où elle travaille en tant qu’agent d’entretien. Mais les papillons dans le ventre, les bisous et câlins (« rien de plus », tient-elle à préciser) n’ont à chaque fois duré que peu de temps.
« Ça s’est mal passé quand ils étaient jaloux », explique-t-elle. Plusieurs garçons se sont battus pour elle. Cela n’a pas rendu Marion fière, cela l’a apeuré. Voyant la situation se répéter, elle s’est remise en question. « C’est en partie après ces expériences que j’ai réfléchi au fait d’aimer les filles », assure-t-elle. Pour ça, et aussi après sa rencontre avec un homme au passé criminel, qui voulait qu’elle vienne lui rendre visite chez lui, seule. Rencontré sur son lieu de travail, c’est grâce à la vigilance de ses parents, chez qui Marion habite toujours, que l’histoire s’est bien terminée.
Enfin, le déclic opère quand elle écoute l’album d’Elsa Esnoult, une chanteuse mais également actrice qu’elle a découvert dans la série Les Mystères de l’amour sur TMC. « On dit que l’amour n’a pas de couleur, d’âges ni de religion, pas de logique, pas de mode d’emploi », dit l’un des morceaux. Marion comprend qu’elle peut aimer qui elle veut. Qu’elle peut aimer tout court, d’ailleurs.
« Je voulais aussi savoir comment rencontrer l’amour, en apprendre plus là-dessus »
Les obstacles à une rencontre
Alors réfléchie, oui, elle l’est bel et bien. « Pour beaucoup, c’est dur d’imaginer une relation, ils restent dans la simple envie d’un mariage et d’enfants », analyse Julie Fauré, puisque c’est ce qu’ils voient à la télé ou autour d’eux. « Finalement, ils n’ont pas tant de relations que ça », constate-elle. Outre des inquiétudes sur son potentiel futur enfant, Marion assume d’ailleurs : « Je voulais aussi savoir comment rencontrer l’amour, en apprendre plus là-dessus. »
« Marion est dans cette recherche d’emmagasiner les connaissances », assure Julie. Elle multiplie les canaux : outre ses lectures et le groupe de parole, elle prend des notes en regardant des séries qui l’interpellent et l’intéressent, notamment Plus Belle La Vie, dont elle est une fan absolue et où elle a appris le mot homosexualité sur les thèmes. Et finalement comme tou.te.s (ou presque), entre besoin, envie et curiosité, elle s’est aussi tournée vers les films pornographiques, tentant de faire la part des choses entre la fiction et le réel. « Juste pour regarder, rien d’autre », précise-t-elle.
Alors quand on lui propose Mes Amours, même si sa timidité lui impose une certaine appréhension, elle fonce. « Pour prendre la parole c’est un peu dur, mais pour expérimenter, pas du tout, depuis bébé d’ailleurs », se remémore sa mère. Marion estime que sa peur vaut la peine d’être surmontée. « C’est important que les autres puissent savoir comment la sexualité se passe, qu’ils ne soient pas tous seuls avec leurs questions », explique-elle.
« C’est important que les autres puissent savoir comment la sexualité se passe, qu’ils ne soient pas tous seuls avec leurs questions »
Cet éveil, cette recherche de savoir et de compréhension, sans aucun doute est-ce dû en partie à sa personnalité, mais indéniablement aussi à l’énergie de sa famille. Ses parents ont tout fait pour qu’elle aille le plus loin possible dans son cursus scolaire, la faisant intégrer jusqu’à sa quatrième un collège en Segpa, chose rare pour une personne avec trisomie.
Eux-mêmes engagés, ils ont participé à la création de la branche en Lot-et-Garonne de Trisomie 21, et Marion siège aujourd’hui au sein du conseil d’administration. Ses frères aussi, Baptiste et Tom, de deux et quatre ans ses cadets l’ont toujours poussée, et considérée comme leur grande sœur, sans handicap. Même pour qu’elle apprenne à faire du vélo. « Si tu ne veux pas apprendre, on part sans toi en balade », avait dit l’un d’eux pendant leur jeunesse. Marion s’était lancée.
L’émancipation d’une femme
Ainsi, Marion est une femme qui s’affirme, qui sait se faire respecter (le collégien qui l’avait insultée à l’époque se souvient peut-être encore de la tarte qu’il a reçu) et qui a appris à prendre des initiatives. « Moi je vais superviser un peu la formation, mais Marion va faire en sorte qu’on la présente », explique Julie Fauré. En effet, pas facile de faire connaître le projet : les instituts et autres organismes n’ont pas forcément les moyens de payer des sensibilisations sur ce sujet.
Mais Marion a su saisir une opportunité, dans un café associatif d’Agen, qui organise des soirées avec des thématiques.
« Marion a discuté avec la gérante du café pour lui demander si on pouvait aller là-bas, elle a dit oui », rapporte Julie Fauré. Parents, enfants : le public est là. « Il y a une attention particulière quand c’est la personne porteuse de trisomie qui parle, assure Julie Fauré, c’est comme si ça venait légitimer quelque chose pour le public. Ça installe un climat où ils vont être à l’aise, ils vont être soulagés car ils vont se dire : ça ne va pas être compliqué ».
Quelques professionnels étaient aussi présents. Dont une responsable de l’agence régionale de santé (ARS), séduite par le projet. Grâce à elle, le binôme délivrera sa première formation au sein d’un institut (hors cadre associatif et salons) en octobre prochain.
Dans le projet Mes Amours, Marion est donc un moteur. Elle fait avancer le projet autant qu’il l’a fait avancer elle. Grâce à ce projet, elle est allée pour la première fois à l’hôtel sans ses parents (pour les week-ends de création des outils à Lyon et à Lausanne). Elle a vu les conditions de travail des femmes de ménage, bien meilleures que les siennes selon elle, et elle s’est dit qu’elle exigerait plus de son employeur. Elle a aussi pris l’avion pour la première fois. « Mes Amours lui a apporté une certaine ouverture, une certaine émancipation », estime Julie. À tel point qu’aujourd’hui, Marion envisage de vivre seule.
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