3 questions à Laureline Levy, organisatrice de soirées pour queers introverti.e.s
« Les lumières agressives et la musique forte constituent une ambiance hostile lorsqu'on n'est pas valide. Et être sobre dans un endroit où tout le monde a un peu bu, c'est dur. Donc ces soirées sont importantes pour permettre à des personnes qui ne sortaient plus par fatigue de micro-agressions de renouer avec le plaisir de sortir de chez soi pour échanger avec des personnes qui leur ressemblent. »
Entre les manifestations et les bars gays, lesbiens et queer, il peut parfois être difficile de trouver des lieux ou des événements communautaires qui ne sur-sollicitent pas les sens lorsque l’on est LGBTQI. Pour les personnes neuroatypiques, malades chroniques, sobres, timides, anxieuses, pour les queers introverti.e.s, cela peut être un facteur d’isolement malgré une volonté de faire des rencontres, de passer du temps dans une bulle hors de la cis-hétéronormalité. Pour remédier à cela, un nouveau genre de soirée, nommée Qalm, s’est créé à Brooklyn, grâce au collectif Queeret (Queer introvert, soit « introverti.e queer » en français). Au programme, trois heures de fête dans le calme hors des lieux de socialisation habituels, bruyants et alcoolisés, dans des lieux comme des coffee shops, afin de privilégier la discussion. Rencontre avec Laureline Levy, qui essaie d’installer de notre côté de l’Atlantique via son projet au doux nom de La Constellation…
Komitid : Comment vous est venue l’idée d’organiser ces soirées à Paris ?
Laureline Levy : En septembre 2018, j’ai quitté mon emploi salarié dans la communication pour me lancer dans le projet d’ouvrir un tiers lieux culturel LGBTQI. En janvier, j’ai vraiment démarré le processus avec le renfort de formations, de suivi à l’entrepreunariat et l’écriture du business plan. En mars, j’en ai eu marre d’écrire et j’ai voulu organiser quelque chose de plus concret. J’ai entendu parlé de Queeret et des soirées Qalm dans un article de Them. Ça me semblait être un concept en parfaite adéquation avec mon projet. J’ai donc écrit à Queeret pour avoir accès à la boîte à outils et j’ai organisé la première édition à Maria Canal fin avril, à l’aide de ma copine et d’ami.e.s.
« Les participant.e.s disent trouver un endroit recherché depuis longtemps »
Pour la première édition, sept personnes sont venues. Pour la seconde, il y en avait onze. C’est assez peu. Ce qui est recommandé par queeret c’est au maximum 20 personnes pour que les gens puissent échanger. Mais ma grande fierté, c’est que les personnes qui viennent sont beaucoup celles qui ne sortent pas d’habitude. Il y a beaucoup de timides et d’introverti.e.s,âgé.e.s de 24 à 45 ans. Des personnes pour qui faire la démarche de venir est déjà énorme !
Les retours ont été extrêmement bons. C’est ce qui me pousse à continuer malgré l’investissement financier. Les personnes restent les trois heures et en général je dois pousser tout le monde vers la sortie. Les personnes rigolent, prennent des notes sur les œuvres ou ouvrages qui sont discutées et conseillées. Les participant.e.s disent y trouver un endroit recherché depuis longtemps et lorsque j’en parle, tout le monde est très très enthousiaste.
Pourquoi des soirées au calme, sans lumière agressive, musique forte et consommation d’alcool ou de drogues récréatives sont-elles importantes pour la communauté LGBTQI ?
La communauté LGBTQI est composée de personnes diverses, qui ont des envies diverses. Il n’y a historiquement qu’une seule façon de « sortir » et c’est lié à la culture de la fête et des bars. Évoluer dans un environnement queer-normatif nous permet de nous reposer et de regagner des forces. Les soirées Qalm sont un endroit comme cela, et je fais tout pour que la Constellation le soit aussi.
« En France, ne pas boire est souvent associé à ne pas être marrant et c’est mal vu »
Un second angle de réponse doit centrer les personnes non valides, neuro-atypiques et sobres. Les lumières agressives et la musique forte constituent une ambiance hostile lorsqu’on n’est pas valide. Et être sobre dans un endroit où tout le monde a un peu bu, c’est dur. En plus, en France, ne pas boire est souvent associé à ne pas être marrant et c’est mal vu. Donc ces soirées sont importantes pour permettre à des personnes qui ne sortaient plus par fatigue de micro-agressions de renouer avec le plaisir de sortir de chez soi pour échanger avec des personnes qui leur ressemblent.
Pensez-vous que ce concept, déjà présent hors de nos frontières, va prendre de l’ampleur en France ?
Très honnêtement, je l’espère. Déjà je vais investir au minimum cinq ans de ma vie et de mon épargne pour qu’il y ait un endroit de ralliement à Paris. Ensuite je pense qu’il faudra sûrement créer une communauté française inspirée de Queeret, avec des ressources en français, pour que les soirées sur le modèle de Qalm ou dérivés puissent prendre plus d’ampleur. En tout cas je suis convaincue de l’importance de cette démarche.
À l’agenda : on va sûrement faire un pique nique mi-juillet et prendre un rythme mensuel en septembre 2019 !
- « Nous voulons porter un message de solidarité » : la Marche des Fiertés parisienne mobilisée contre la transphobie
- « Je ne fais pas juste du visuel, il y a quelque chose de très politisé dans ce que je souhaite transmettre »
- 3 questions à la Fédération des festivals de films LGBTQIA+
- How to become : 3 questions sur la revue « The Daughters of Darkness »
- « L'univers drag brille par sa richesse et sa variété »