« Coming Out », de Denis Parrot : un documentaire émouvant et nécessaire

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Ce documentaire, construit avec des séquences de coming out, est une leçon d’intelligence collective, un film nécessaire qui devrait être projeté dans toutes les écoles.

Image extraite de « Coming out », de Denis Parot - Dryade Films, Upside Films
Image extraite de « Coming out », de Denis Parrot - Dryade Films, Upside Films

[Mis à jour, le 4/09/2019]

Fasciné par la puissance d’une vidéo de coming out découverte par hasard sur internet, Denis Parrot, monteur et infographiste, en a visionné 1200 publiées entre 2012 et 2018 pour constituer le documentaire Coming Out qui sort en salles mercredi 1er mai. Grâce à la diversité et à la force des témoignages de jeunes gays, de jeunes lesbiennes et de jeunes personnes transgenres mais également grâce à la finesse du montage, Coming Out est une leçon d’intelligence collective, un film nécessaire qui devrait être projeté dans toutes les écoles.

C’est une part de notre histoire, de nos histoires, qui émeut aux larmes, fait sourire et, finalement, dresse de la plus belle des façons le portrait composite et mondial d’une génération de personnes LGBT+. Ces témoignages et situations filmées dans une démarche personnelle, selon les moyens du bord, créent par la force du montage, l’instantané collectif d’une communauté disparate qu’on se prend à rêver soudée et solidaire. Komitid a rencontré le réalisateur Denis Parrot pour qu’il nous raconte cette aventure.

Komitid : Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à ces vidéos de coming out auto-filmées ?

Denis Parrot : Je viens du montage-image dans le documentaire et la fiction, j’ai commencé comme stagiaire sur La Fille sur le pont, de Patrice Leconte (sorti en 1999, ndlr) et j’ai ensuite monté des longs métrages plus confidentiels. J’aime les petits films. Il y a deux ans, je suis tombé par hasard sur Youtube sur la vidéo du coming out d’un jeune anglais qui appelait sa grand-mère et se filmait avec sa webcam. Je ne savais pas que ce genre de vidéos existait et cela m’a ému aux larmes. Pendant les huit minutes de cette vidéo, il y avait peut-être sept minutes de silence pendant lesquels il n’osait pas dire un mot, il suait, se décompensait. Sa grand-mère essayait de combler le vide en parlant de ce qu’elle avait vu à la télé, avec des phrases du quotidien.

On sentait tous les jours, toutes les semaines, tous les mois, toutes les années pendant lesquelles il avait pensé à ce moment-là … Et au bout de sept minutes, il le dit, elle lui répond que cela ne la dérange pas. C’est une libération énorme qui m’a directement renvoyé à mon adolescence qui m’est revenue en pleine face. C’était très violent, je pensais avoir tout régler mais au vu de la façon dont je pleurais devant mon écran, je pense qu’en fait, non, tout n’était pas réglé. J’ai commencé à cliquer sur la droite de l’écran Youtube, sur les vidéos liées, et j’en ai regardé des dizaines. Je trouvais ça incroyable et je me suis tout de suite dit qu’il y avait quelque chose à faire avec ce matériau très fort.

« Toutes ces vidéos mises ensemble, cela permet de rompre cette solitude et c’est cela qui m’a directement touché. »

Vous dites que cela vous a rappelé des choses, peut-on vous demander comment s’est passé votre coming out ?

C’était assez tard ! J’ai fait ça dans la vingtaine, il n’y avait pas internet. J’ai juste présenté mon copain à mes parents. On n’en a pas parlé sur le moment, c’était un peu tabou. Ils avaient compris mais on a mis un peu de temps pour en parler après. Toutes ces vidéos m’ont vraiment rappelée ce moment où on se sent très seul. On a l’impression d’être seul au monde alors qu’il y a plein de LGBT ! Toutes ces vidéos mises ensemble, cela permet de rompre cette solitude et c’est cela qui m’a directement touché.

Comment expliquez-vous cette envie, ce besoin, pour cette génération de millenials de faire un coming out de façon « publique » ?

Déjà le moyen technique existe : internet ! Les jeunes s’en sont emparé tout de suite, notamment pour cadrer une vidéo avec un bon son, une bonne image, et savoir la monter. Ils maîtrisent l’outil technique et ils ont compris qu’ils pouvaient en tirer quelque chose socialement : on parle beaucoup de solitude mais le fait de partager ces moments et ces vidéos avec d’autres, cela permet vraiment de rompre avec ce sentiment.

C’est aussi une façon de dire aux autres : « Regardez ! Moi je l’ai fait, vous aussi vous pouvez le faire ! », c’est une forme de challenge. Ce qui est compliqué à l’adolescence, c’était, en tout cas à mon époque, de ne pas pouvoir partager son expérience, son ressenti, de ne pas en parler, à personne. Ni aux amis, ni aux parents. Internet a libéré cette parole et les jeunes peuvent en parler entre eux, ça fait du bien, ça soulage et ça permet après d’aborder le sujet avec ses parents et de mieux appréhender leurs réactions.

Est-ce ce que ce n’est pas également une façon de se protéger en prenant la société à témoin ?

Complètement ! C’est ce que je me suis dit. Pour certains jeunes, il y a l’envie d’en garder une trace et c’est aussi, quand ils disent aux parents qu’ils sont filmés et que ce n’est pas une caméra cachée, une forme d’outil de manipulation pour se protéger. C’est important de se protéger et la caméra et l’écran jouent ce rôle.

Combien de temps a duré le travail de visionnage et de montage ?

Près de deux ans en travaillant en parallèle sur d’autres projets. Il y a eu le visionnage, un premier montage. Et puis, au niveau légal, il a fallu contacter toutes les personnes. Je voulais qu’ils voient tous le film, qu’ils comprennent ce que je voulais faire. J’ai été en contact avec tous, et également avec les parents pour les mineurs. Des liens se sont créés, des gens avec qui je suis resté en contact. Il n’y a que deux vidéos que je n’ai pas pu garder parce que les parents n’étaient pas d’accord pour apparaître même s’ils sont déjà sur internet, c’est toute la contradiction du truc.

Y-a-t-il eu des surprises, des éléments inattendus lors de ces recherches de mis en contact ?

Oui ! Danny a été très difficile à contacter et je ne comprenais pas pourquoi. Il a fait son coming out à 11 ans et il me semblait l’exemple parfait des familles où cela ne pose pas de problème … La scène où il se filme dans un échange avec sa mère est l’une des plus drôles. Et quand j’essayais de le joindre, je tombais sur des agents, des attachés de presse … En fait, il a participé à American Idol puis à l’émission Ru Paul’s Drag Race sous le nom d’Adore Delano. C’est une vraie star !

« Les personnes transgenres ont aussi beaucoup utilisé ce moyen pour documenter et partager les étapes de leur transition. »

Pendant ces recherches est-ce qu’il y a eu une tentative de dater et de retrouver le tout premier coming out posté sur Youtube ?

Je me suis beaucoup posé la question et je ne suis remonté que jusqu’à 2008. Cela a plus commencé par des témoignages de personnes qui racontaient leur coming out avant que cela ne devienne véritablement des coming out filmés. Il a également fallu que je me fixe la date de 2018 pour arrêter sinon j’y serai encore car il y a de nouvelles vidéos qui arrivent tous les jours. Les personnes transgenres ont aussi beaucoup utilisé ce moyen pour documenter et partager les étapes de leur transition comme on le voit dans le beau documentaire Coby sorti l’année dernière. Je trouve ça admirable et cela permet d’expliquer, cela a une vraie portée pédagogique qui permet de démystifier, d’enlever tous les à priori et les fantasmes qu’il y a autour de cette question.

Toutes ces vidéos créent une nouvelle forme de journal intime, qui devient, via Youtube, un journal extime, visible par tou-te-s …

C’est l’intime qu’on accepte de montrer. C’est assumé et réfléchi. Une journaliste m’a beaucoup choqué en me demandant si c’était moi qui avait initié cette prise de parole chez ces jeunes. Je ne comprenais pas comment elle pouvait penser ça. C’est une démarche tellement personnelle.

À quel moment le monteur est-il devenu réalisateur ?

Certains ont du mal à comprendre et s’imaginent que ce ne sont que des images montées les unes à la suite des autres, et je comprends la critique. Mais il y a un vrai travail d’écriture Je voulais vraiment créer un arc dramatique, et puis un gros travail de coupe car de nombreuses vidéos durent en fait près de 20 minutes à l’origine.

Comment s’est créé l’équilibre, la représentation juste d’une certaine diversité dans les choix de montage ?

J’ai essayé mais n’y suis forcément pas arrivé. Mais c’est assez significatif dans le film qu’il n’y ait aucune vidéo qui vienne d’Afrique ou du Moyen-Orient et c’est édifiant sur la situation. J’ai vraiment creusé, cherché mais il n’y en avait pas. Il y a plus de 70 pays qui punissent l’homosexualité de peine d’emprisonnement et sept de la peine de mort donc cela justifie cela, c’est plus politique que culturel. Cela m’a désolé. En Russie non plus, je n’ai rien trouvé, c’est pourquoi j’étais heureux qu’on ait le témoignage d’Artem, un Russe exilé au Canada. Sa mère dit que s’il n’était pas parti au Canada il ne serait jamais devenu gay, que c’est une maladie de l’Ouest ! En Asie, cela a été un peu plus facile de trouver des témoignages. Le film n’est pas représentatif du monde mais de ce qu’on trouve sur internet. Il y a moins de pères que de mères parce que c’est aussi le cas sur internet.

« Quand j’ai expliqué à des amis hétéros le film que je faisais, ils se demandaient pourquoi ces gens se sentaient obligés de faire ça … »

Une des vidéos est d’une violence inouïe, elle a été tournée en caméra cachée. Comment avez-vous contacté ce garçon et avez-vous des nouvelles ?

C’est la seule vidéo pour laquelle je n’ai pas demandé l’autorisation aux parents, on a flouté les visages. Il a senti que quelque chose aller se passer quand sa mère lui a demandé de passer à la maison car son père et lui avaient des choses à lui dire. Donc il a allumé son smartphone. Après, il s’est fait virer de chez lui, ils lui ont donné un carton et son chien et il a été accueilli par sa tante. Ils lui ont retiré sa voiture – on a souvent une voiture très jeune aux États-Unis – son assurance santé et ils ont arrêté de payer ses études. C’est sa tante qui a posté la vidéo sur internet, elle a été beaucoup vue et il y a eu un véritable élan de générosité.

Beaucoup de gens ont fait des dons qui l’ont aidé à se retourner, il en a même reversé une partie à une association qui aide des jeunes LGBT virés de chez eux. Il raconte que, la première fois qu’il a vu la vidéo, cela lui paraissait irréel, il ne pensait pas que c’était vraiment lui. Maintenant il va très bien, il a un copain, il est avocat et il a l’air très heureux ! C’est une question qu’on me pose très souvent à la fin des projections. C’était important de mettre cette vidéo au milieu du film. Je voulais ouvrir avec quelque chose de plus léger, avec Campbell, sa mère et son frère qui me font beaucoup rire. Et finir avec Lauren et sa grand-mère qui est aussi quelque chose de plus solaire. Quand j’ai expliqué à des amis hétéros le film que je faisais, ils se demandaient pourquoi ces gens se sentaient obligés de faire ça … Je suis du coup content d’avoir trouvé Artem qui explique ça très bien, le besoin de se soutenir les uns les autres grâce à ces témoignages sans se soucier des homophobes.

Est-ce qu’à votre avis, ces vidéos vont aller en se multipliant ou quelque chose de nouveau pourrait arriver ?

C’est vrai que ces vidéos qui vont de 2012 à 2018 documentent vraiment les années 2010. C’est comme un montage de vidéo d’archives contemporaines qui parlent d’aujourd’hui. Il y a 10 ans, cela n’aurait pas été comme ça et j’imagine que dans 10 ans cela ne le sera pas non plus. Même si c’est aujourd’hui une sorte de passage obligé initiatique. J’aurais tellement aimé voir ce genre de vidéos quand j’étais adolescent.

Dans ma génération on était perdu, il n’y avait pas ou très peu de représentation dans les séries ou au cinéma et cela c’est capital. Cela m’aurait fait gagner 10 ans ! Le fait de voir des jeunes qui nous ressemblent, cela aide à se construire. Au festival de Sofia, il y a quelques mois, après une projection du film, une fille m’a dit : « J’espère que les jeunes qui sont dans le film sont conscients de la chance qu’ils ont de pouvoir faire ces vidéos ». Je ne savais plus quoi dire. L’écart de liberté qu’il y a entre certains pays dans le monde reste une violence absolue.

 

Le DVD de Coming out, de Denis Parrot, est disponible à partir du 5 septembre 2019, avec en bonus les interviews du réalisateur (24 min.) et du co-président de SOS homophobie, Jérémy Falédam (15 min.).