« Il est temps de faire confiance aux personnes passionnées d'archives LGBTQI »

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Militant LGBT de longue date, Christian de Leusse défend dans une tribune l'importance d'une gestion communautaire des archives LGBT+.

Première Université d'été homosexuelle et première Pride à Marseille, juillet 1979 - Pierre Ciot
Première Université d'été homosexuelle et première Pride à Marseille, juillet 1979 - Pierre Ciot

Christian de Leusse, 73 ans, est un ancien militant du Groupe de Libération Homosexuelle de Marseille. Militant LGBT actif depuis cette période, il a constitué un fonds documentaire important au fur et à mesure de ses engagements, de ses lectures et de ses pérégrinations. Mémoire des sexualités, créé il y a 30 ans, attire aujourd’hui l’attention de nombreux jeunes chercheurs et chercheuses. Dans sa tribune, il défend l’importance d’une gestion communautaire des archives LGBT+, à l’heure où le dialogue entre la Mairie de Paris et le collectif Archives LGBTQI rencontre de grandes difficultés.

Nous avons tous et toutes des archives. Par chance, certain.e.s d’entre nous en ont gardé plus que d’autres. Celles-ci ont vocation à alimenter la connaissance de nos mémoires, de notre histoire et de nos prochains combats. Pendant longtemps nous les avons gardées discrètement, de peur qu’elles nous trahissent lorsqu’un proche, un voisin ou un visiteur importun passerait chez nous. Nous les avons cachées, puis nous avons dû nous en défaire, souvent n’importe comment, parce qu’il y avait de moins en moins d’espace, que nous devions déménager, ou parce que nous étions malades. Et souvent nos « ayant droits » ont jeté cela à la rue parce qu’ils étaient horrifiés ou incapables d’en faire quoi que ce soit…

Des archives pour savoir et comprendre

Aujourd’hui, ces archives font le bonheur de nombreux chercheurs et chercheuses. Ils et elles en ont besoin pour découvrir « leur » passé, pour s’approprier leur histoire, pour asseoir leurs nouveaux combats. Comprendre cette société et les forces qui la contraignent, mieux saisir les grands courants de mobilisation, ancrer leurs nouveaux combats. Ils et elles en ont besoin pour découvrir ou redécouvrir tous ceux et celles qui les ont précédé.e.s dans les batailles antérieures. Pour constater que certains combats ont subi bien des soubresauts.

« Nous sommes au moment où l’interrogation sur le genre, la transidentité et l’homosexualité perturbe et interroge les hétérosexuels eux aussi. »

Les combats de nos proches, dans les autres pays, sont des exemples ou des contre-modèles, les forces politiques et religieuses sont les mêmes ou toute autre. Connaître l’histoire LGBTQI dans les autres pays est éloquent, facteur de motivation, facteur de solidarités. Notre passé nous appartient, les généalogies ne concernent pas que les hétérosexuels. Et c’est l’heure où l’immense champ de l’hétérosexualité chavire et s’interroge sur tout ce qui l’a contraint, tout ce qui l’a déterminé, tout ce qui lui a interdit de regarder en face ses fantasmes et ses désirs. Nous sommes au moment où l’interrogation sur le genre, la transidentité et l’homosexualité perturbe et interroge les hétérosexuels eux aussi. Les archives des LGBTQI ont beaucoup de choses à leur dire. Il n’y a aucun sens de transformer des archives aussi utiles en objets inaccessibles.

Des archives pour rebondir

Les nombreux jeunes chercheurs et chercheuses qui découvrent ces archives ne sont pas nécessairement des militant.e.s, ils et elles ne viennent pas là pour muscler leur discours d’activistes féru.e.s d’histoire LGBTQI. Ils et elles viennent pour leurs projets de vie, viennent avec de très nombreuses compétences, pour de multiples raisons. Ils et elles trouvent dans les archives mille choses qui leur donnent de l’énergie, de la créativité, des idées nouvelles, de nouveaux langages. Paradoxalement, celles-ci ne sont en rien des objets morts ; ils et elles en font des instruments d’avenir, y voient des éléments et des outils d’action que leurs ancien.ne.s n’y voient plus. Ils et elles s’appuient sur les combats des prédécesseurs pour aller vers de nouvelles luttes, se haussent sur les créations des anciens pour créer à leur tour, écrire, chanter, vivre et aimer autrement. Il n’y a aucun sens de ne voir ces archives que comme des dossiers sur le passé.

Une Ville de Paris qui ne peut pas comprendre

Ce qui se passe avec la Ville de Paris aujourd’hui, c’est la même chose que ce qui se passe avec toutes les institutions d’archives, de rangement, de classification. Ces dossiers sont entre les mains de conservateurs et de conservatrices qui ont pour profession de protéger ces biens pour préparer de grandes expositions et de les préserver pour les générations futures. Comment la Ville de Paris pourrait-elle comprendre qu’il s’agit d’autre chose ? Que les LGBT trouvent là un « cœur de réacteur ». Ce n’est même pas de nouvelles subversions que les institutions redoutent — comme d’autres gardent des secrets pour éviter des révoltes —, c’est simplement une incapacité de comprendre pourquoi les LGBTQI sont si motivés par ce que fait leur histoire. Chacune des miettes de nos combats précédents, chacune des marches de nos conquêtes juridiques, chacun des livres ou chacune des affiches qui ont fait notre histoire, nous tient à cœur parce que nous sentons, confusément ou clairement, que cela a été conquis de haute lutte. Et nous voulons le comprendre et nous l’approprier.

« Ces combats d’hier nous apparaissent peu à peu comme des combats très actuels, parce qu’ils ont été des victoires sur nous-mêmes. »

Ces combats d’hier nous apparaissent peu à peu comme des combats très actuels, parce qu’ils ont été des victoires sur nous-mêmes. Ces hommes et ces femmes qui se sont affirmées ont été des flambeaux et des lames qui ont fait face à mille obstacles pour apparaître au grand jour. Nous ne parlons pas de tableaux dans des musées, de livres dans des bibliothèques de prêts, ou d’objets témoins d’une époque révolue. Nous parlons de notre intimité, celle qui nous a contraint.e.s à nous affirmer bec et ongles face à un monde oppressif, moralisateur, cancanier, harceleur… avec tant et tant de forces liguées contre nous. Nous sentons jour après jour à quel point leurs combats sont les nôtres.

Il suffit de voir combien les films qui parlent de nous nous émeuvent, de voir combien les agressions LGBTphobes où qu’elles se passent nous touchent au plus profond de nous-mêmes, pour comprendre nos attachements à notre histoire et notre ouverture sur le présent. Il n’y a aucun sens à mettre les archives dans des frigos.

Les passionnés d’archives LGBTQI sont aussi des professionnels

Il est temps de faire confiance aux personnes passionnées d’archives LGBTQI, elles sont tout autant capables que d’autres de protéger ces archives et de les valoriser. Elles ne seraient pas passionnées si elles n’avaient pas elles-mêmes un infini respect de ces documents. Leur volonté est d’abord et avant tout de mettre ceux-ci à disposition des LGBTQI et elles ont raison. Les institutions craignent-elles un manque de rigueur, de formation, de scrupules ? Aidons ces personnes à se former, aidons-les à être à la hauteur de leurs ambitions.

Il faut des professionnel.les de haut niveau ? Il y en a beaucoup qui accepteraient, avec plaisir, d’être mis à leur disposition. Il vaut mieux que les documents soient mis en réseau avec les centres officiels qui existent ? Qu’à cela ne tienne, tout le monde est d’accord pour travailler en bonne intelligence, il suffit d’organiser les concertations nécessaires. Mais ne les contraignons pas à découper leurs archives, afin de mettre leurs livres ici, leurs affiches là, leurs tracts militants ici et leurs mémoires universitaires et leurs thèses ailleurs. Ils ont le droit de tout rassembler parce que cette histoire a une unité fondamentale. Il n’y a aucun sens à stigmatiser des professionnel.le.s.

Des archives tenues sous le boisseau

Nous avons été privés de bien des archives qui ont été perdues parce que leurs détenteurs et leurs détentrices sont décédées ou contraintes de s’en défaire. De nombreuses archives ont été déjà, plus ou moins bien, mises à l’écart parce qu’il fallait trouver une solution et parce que des institutions offraient de bonnes garanties de protection. Mais, de ce fait ces archives sont dispersées et difficiles d’accès, contraignant les étudiant.e.s et les chercheurs et chercheuses à de vrais parcours du combattant.

Mais il y a aussi des archives qui existent et dont nous sommes privés parce qu’elles sont gardées quelque part en attendant des jours meilleurs. Il n’est pas compréhensible que les archives de Jean Le Bitoux (fondateur de Gai Pied) et celle de Gérard Bach (créateur du pacs), par exemple, soient toujours bloquées. L’un et l’autre ont fait partie des meilleurs d’entre nous, ils nous ont montré la voie. Ils ont rassemblé tant et tant de documents qui ont jalonné nos propres parcours. Il n’est pas compréhensible que les chercheurs et chercheuses d’aujourd’hui ne puissent pas y accéder, pour éclairer les 40 dernières années et pour nous aider à ouvrir l’espace sur les prochaines décennies. Il faut organiser l’accès à leurs cartons.

Lancer une campagne de financement participatif

D’autres lieux nous ont ouvert la voie, le musée LGBTQI de San Francisco est un lieu autonome et ouvert, pleinement géré par les personnes LGBTQI elles-mêmes. Ayons confiance dans la capacité des LGBTQI de souscrire dans le cadre d’un crowdfunding (campagne de financement participatif, ndlr). Nous serons des milliers à contribuer à un fond qui se donnera pour tâche de constituer un centre de documentation et d’archives qui nous appartienne pleinement. Nous ne voulons pas dépendre de telle ou telle institution. Nous serons capables de travailler en bonne harmonie avec les centres de documentation et d’archives qui existent d’autant que nous aurons besoin de cette complémentarité.

Propos édités par Christophe Martet

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