« La politique homonationaliste de Trump instrumentalise les minorités sexuelles dans le jeu diplomatique »
Le chercheur américain Michael Bosia dénonce dans une tribune la politique de Donald Trump. Le président américain a récemment annoncé vouloir se battre pour la dépénalisation de l'homosexualité dans le monde.
Michael Bosia est professeur de sciences politiques au Saint Michael’s College, situé à Colchester dans le Vermont aux États-Unis. Avant d’entamer son parcours académique, il avait été employé par le sénat de Californie sur la prise en charge des personnes atteintes par le VIH. Ses recherches et son enseignement se concentrent sur les questions de justice sociale, de la pratique de la démocratie, sur les droits humains et en particulier les droits LGBT+. Son travail sur ce qu’il appelle l’homophobie d’État l’a conduit notamment en Egypte et en Ouganda. Dans cette tribune, il analyse la récente annonce par Donald Trump d’un plan visant à mettre fin à la pénalisation de l’homosexualité dans le monde.
L’annonce le mois dernier du lancement par l’administration Trump d’une politique pro LGBT+ par l’ambassadeur américain en Allemagne Richard Grenell, lui-même ouvertement gay, n’est pas une aussi bonne nouvelle si on y regarde de plus près. En fait, là où Barack Obama, avec sa secrétaire d’État Hillary Clinton, construisait patiemment des stratégies globale et locale avec leurs allié.e.s et partenaires sur le terrain des droits humains LGBT+, le sbire maladroit de Trump a parlé à voix haute sur la dépénalisation de l’homosexualité, mais sans soutien, mis à part celui d’une dizaine d’organisations LGBT+ qui restent inconnues parce que l’ambassade à Berlin n’a pas daigné les nommer.
Instrumentalisation des minorités sexuelles
La vérité, c’est que ce n’est pas l’homophobie d’État réelle pénalisant l’homosexualité qui préoccupe le gouvernement des États-Unis, mais ses alliés européens qu’ils traitent comme des hérétiques à cause de leurs relations économiques et diplomatiques avec la république Islamique d’Iran et leur adhésion à l’accord sur la dénucléarisation. Quand un État met en œuvre une politique pro-LGBT+ afin de masquer des ambitions impérialistes, racistes ou nationalistes… Quand un pays a pour objectif de discréditer son opposition domestique ou ses concurrents internationaux… Quand une nation tente d’imposer la vision d’un monde divisé en deux (entre « la civilisation » et « la barbarie »), les chercheurs et théoriciens LGBT+ appellent cela « homonationalisme » ou « homocolonialisme ». Cette politique homonationaliste du petit soldat trumpien de Berlin instrumentalise les minorités sexuelles ou non-binaires dans le jeu diplomatique et ne considère pas les individus comme sujets avec leurs propres besoins, leurs vulnérabilités, leurs désirs, et leurs valeurs dans des situations spécifiques.
« Dans le monde, Trump s’est lié d’amitié avec des hommes politiques autoritaires et notoirement homophobes. »
Voici trois faits pour illustrer notre propos. Premièrement, les États-Unis de Donald Trump restent toujours homophobes. Pour preuve, l’abrogation des droits des jeunes trans à l’adoption des règlements intégristes qui autorisent des actes discriminatoires sous prétexte de croyance religieuse. Les personnes trans sont bannies de l’armée, une réfugiée trans d’Amérique du Sud est morte sous la garde de fonctionnaires fédéraux et les réfugié.e.s LGBT+ de certains pays musulmans comme la Syrie ou l’Iran sont interdit.e.s d’entrée aux États-Unis. Dans le monde, Trump s’est lié d’amitié avec des hommes politiques autoritaires et notoirement homophobes.
Deuxièmement, cette annonce nous rappelle le slogan de Trump « America First » parce que les États-Unis n’ont informé aucun des pays avec lesquels ils travaillent sur les questions concernant les droits LGBT+. En effet, les États-Unis, avec 39 autres pays, sont membres de l’Equal Rights Coalition, dont la mission est de promouvoir les droits des minorités sexuelles et non-binaires, mais l’administration Trump n’a pas jugé bon de les inclure dans cette nouvelle stratégie. En outre, des ONG qui s’occupent des thématiques LGBT+, comme l’ILGA, Outright International, Human Rights Watch et d’autres, n’ont pas été consultées quand le gouvernement étasunien a annoncé cette politique très inhabituelle.
Dimension homonationaliste
Troisièmement, l’ambassadeur Grenell a démontré la dimension homonationaliste sous ses mots prétendument pro-LGBT+ quand il a posté – sur Twitter– une dénonciation du ministre allemand des Affaires étrangères en train de serrer la main avec son homologue iranien. Il a d’abord publié un post sur l’exécution d’un jeune homme iranien présumé gay, puis une vidéo moquant le ministère iranien qui parlait des droits de l’homme et pour finir, une photo des deux ministres ensemble. Grennell a saisi une arme pour fouetter ses alliés rebelles, une arme qui a l’apparence du pro-LGBT+ pour susciter des soupçons en Occident sur la fidélité de l’Allemagne à « la civilisation » contre « la barbarie ».
On voit dans cette politique une double erreur. D’un côté, l’ambassadeur Grenell menace de bloquer l’aide bilatérale fournie par les États-Unis aux pays qui pénalisent la sexualité non-hétérosexuelle. Comme le mur le long de la frontière sud des États-Unis, c’est une rhétorique très macho qui est envoyée par les États-Unis. D’un autre côté, Grenell n’a offert aucune preuve qu’il avait discuté de ces stratégies avec les organisations des minorités sexuelles et non-binaires dans les pays concernés.
« Ces erreurs représentent la prétention persistante d’un néocolonialisme de l’Occident dans toutes ses relations avec les pays du Sud »
Ces erreurs représentent à la fois la prétention persistante d’un néocolonialisme de l’Occident dans toutes ses relations avec les pays du Sud – l’imaginaire d’un sauveur blanc qui s’habille dans une coutume homocoloniale – et un mépris majeur pour les voix des personnes concernées au Sud.
Une politique homolibératrice est possible
Une telle politique interventionniste n’offre aucune sécurité mais au contraire plus de risques, là où les États homophobes et transphobes vont accuser les minorités sexuelles et non-binaires de conspirer avec l’Occident et de trahison contre les autorités et le peuple. C’est pour cela, pour protéger les personnes vulnérables, que les organisations LGBT+ s’opposent presque toutes à une politique de sanction collective. La politique homonationaliste et maladroite des États-Unis emprunte une autre voie. Si l’on considère la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, on y voit une politique de libération conduite par les Sud-Africains eux-mêmes. Certes, dans les années 80, le monde a mis en place un boycott et des sanctions contre l’état raciste et les dirigeant.e.s blanc.he.s nationalistes. Mais cette politique punitive n’était pas à l’initiative de l’Occident. Elle était due à une stratégie spécifique – mise en œuvre localement et internationalement dans tous les pays – par le Congrès national africain.
Une politique homolibératrice est possible. Tout serait différent si Richard Grenell avait invité les représentant.e.s des organisations LGBT+ des pays concernés, ainsi que les allié.e.s qui promeuvent les droits des personnes LGBT+. Et comme la Maison blanche de Barack Obama avait commencé à le faire, s’il avait mis en place une initiative commune qui soit adaptée aux préoccupations, aux expériences et aux expertises locales. Mais une telle approche indiquerait que l’égalité des droits est une priorité, ce qui n’est pas le cas de l’administration Trump, avec ses discours islamophobes et sa politique homonationaliste sous la bannière du triste slogan « America First ».
- « La pire administration de tous les temps », Caitlyn Jenner se lâche sur Trump
- « Ne laisse pas tomber la savonnette » : homophobie et anti-trumpisme font toujours bon ménage
- Aux États-Unis, les personnes trans sont à nouveau menacées par l'administration Trump
- Deux ans après l'attaque du Pulse, Gays Against Guns dégaine paillettes et talons contre le lobby des armes