César 2019 : Le bouleversant discours féministe de Léa Drucker

Publié le

Léa Drucker, récompensée du César de la meilleure actrice, a dédié son prix à toutes les femmes victimes de violence et à celles qui les défendent.

Léa Drucker, dans « Jusqu'à la garde », de Xavier Legrand - Haut et Court
Léa Drucker, dans « Jusqu'à la garde », de Xavier Legrand - Haut et Court

La masculinité, ses affres, sa toxicité, ses crimes, ses remises en question étaient au cœur des principaux films nommés au César 2019 et les résultats annoncés hier soir ont confirmé cette tendance. La soirée a donné l’occasion d’exprimer de très belles choses sur la force du combat des femmes, on retiendra à ce titre le magnifique discours de Léa Drucker, sacrée meilleure actrice pour son rôle de femme en danger dans Jusqu’à la garde, le grand vainqueur surprise de cette cérémonie. Retour sur les moments forts de cette soiré.

Hommage décalé à Freddie Mercury

Tout a commencé en musique dans un hommage décalé à Freddie Mercury, puisque Kad Merad, le maître de cérémonie de cette 44ème édition des César est apparu, tout en moustache et en dentier, pour un medley des tubes de Queen avec paroles en français circonstanciées (« Tiens y’a pas Adjani » sur l’air de Another bites the dust). Tentative louable de mettre un semblant d’ambiance dans la Salle Pleyel qui recevait tout le cinéma français et… Robert Redford.

On vous avait prévenu, il ne fallait pas compter sur les César pour la visibilité des LGBT+ puisque seul Denis Podalydès, nommé en meilleur second rôle pour Plaire, Aimer et Courir vite, de Christophe Honoré (la seule nomination pour ce film majeur), Girl de Lukas Dhont, en meilleur film étranger, et Sauvage, de Camille Vidal-Naquet en meilleur premier film représentaient des longs métrage à thématique queer. Ils ont d’ailleurs tous été snobés par l’Académie tout comme le court métrage Laissez-moi danser, de Valérie Leroy qui met en scène un personnage transgenre.

Duel

Dans le duel qui l’opposait au Grand Bain de Gilles Lellouche et ses garçons qui se mettent à la natation synchronisée pour se sortir de leurs névroses, c’est le (premier) film de Xavier Legrand, Jusqu’à la garde qui traite de façon intime des violences conjugales qui remporte la mise 4 à 1 (le meilleur second rôle pour le lunaire et convaincant Philippe Katerine). Jacques Audiard reste une valeur sûre remportant lui aussi quatre César (réalisateur, photo, décors et son) pour Les Frères Sisters, son western aux questionnements philosophiques sur la masculinité et la place de l’homme dans la société, un sujet qui est le ciment de son œuvre depuis Regarde les hommes tomber. Alex Lutz reçoit le César du meilleur acteur (et celui tout autant mérité de la meilleure musique) pour son portrait en mode faux documentaire, d’une ancienne idole de la chanson, un peu ringard, un peu réac, mais pas trop dans Guy.

Le trio des César de l’espoir récompense une œuvre ambitieuse, ancrée dans les quartiers dits sensibles de Marseille au cœur de la prostitution juvénile : le film Shéhérazade, découvert à la Semaine de la critique de Cannes et réalisé par Jean-Bernard Marlin reçoit le César du premier film et ses deux jeunes interprètes rencontrés in situ, Kenza Fortas et Dylan Robert, les César des espoirs féminin et masculin.

Fléau de la pédocriminalité

Les Chatouilles, premier film choc d’Andréa Bescond et Eric Métayer sur l’histoire de la jeune Odile, victime d’un pédophile ami de la famille reçoit deux statuettes, celle de la meilleure adaptation (Les Chatouilles était à l’origine un spectacle chorégraphique seule en scène d’Andréa Bescond) et du meilleur second rôle féminin pour Karin Viard, incroyable en mère qui ne voit rien, n’entend rien et ne reconnaît même pas la gravité des faits. Andréa Bescond comme Karin Viard ont pu rappeler sur scène le fléau que constitue toujours la pédo-criminalité. Le sujet est également au cœur du film récompensé dans la catégorie court d’animation, Vilaine Fille et du nouveau film de François Ozon, Grâce à Dieu, actuellement en salles et qu’on imagine très clairement dans la future short-list des César 2020.

On retiendra de cette soirée les deux très beaux moments musicaux en guise d’hommage. Celui, tout en sobriété et en émotion d’Eddy de Pretto à Charles Aznavour lors d’une reprise de Je m’voyais déjà  aux paroles réadaptées (notamment une « celle » remplacé par un « celui ») et l’autre, tout en énergie et en voix, de l’incroyable duo Cécile Cassel-Stéfi Celma sur La Chanson d’un jour d’été des Demoiselles de Rochefort, composée par Michel Legrand.

Triomphe surprise

Le triomphe surprise et réjouissant de Jusqu’à la garde (meilleur film, actrice, scénario original et montage) aura permis d’entendre son réalisateur, Xavier Legrand, dire que, si en 2016, 123 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint ou ex, elles étaient déjà 25 à avoir été « assassinées » depuis le début de l’année 2019, en moins de deux mois.

Le discours le plus touchant, le plus vibrant de cette cérémonie fut sans nul doute celui de Léa Drucker, premier César avec celui de la meilleure actrice. Elle interprète Miriam, une femme menacée et violentée par son ex-mari dans Jusqu’à la garde, et ses quelques mots sur les femmes victimes et sur celles qui vont au combat ont été les plus bouleversants de la soirée : « Je voudrais dédier cette récompense à toutes les Miriam, toutes ces femmes qui ne sont pas dans une fiction, qui sont dans cette tragique réalité. Je pense à toutes celles qui sont parties, celles qui veulent partir, celles qui ne partiront pas, celles qui auraient dû partir. Je pense à elles (…) Je crois que la violence elle commence par les mots, je pense à tous ces mots qu’on utilise parfois tous les jours, et on croit qu’ils sont ordinaires, banals. On les utilise sous couvert d’humour, parfois par des effets de groupe. » 

« Je voudrais remercier toutes les femmes, toutes les féministes, celles qui écrivent, agissent, prennent la parole et défendent au quotidien la cause des femmes »

« On ne se rend pas compte que ces mots-là sont déjà le début d’une menace et (…) le reflet d’une pensée et d’une idéologie peut-être dont on n’a pas forcément conscience et qu’on doit combattre ensemble, tous, hommes et femmes. (…) Pour terminer, je voudrais juste remercier toutes les femmes, toutes les féministes, celles qui écrivent, agissent, prennent la parole et défendent au quotidien la cause des femmes, qui bravent parfois des tempêtes d’insultes et d’agressivité en tous genres et je voudrais les remercier parce qu’elles m’ont permises, en m’éveillant, d’être la femme que je suis aujourd’hui »

Léa Drucker venait de recevoir son César des mains du pire remettant, Guillaume Gallienne, auteur de la punchline la plus malaisante de cette soirée : « J’avais prévu une vanne mais, vu que je suis un mâle blanc et hétéro, je vais fermer ma gueule »