« Ligue du LOL » : comment la masculinité toxique impacte les journalistes gays et bis
L'affaire de la « Ligue du LOL » qui ébranle la presse met en lumière l'existence de « boys' club » dans les rédactions. Et cette masculinité toxique, qui impacte en premier lieu les journalistes femmes, n'épargne pas non plus les hommes gays et bis. Pour Komitid, plusieurs d'entre eux témoignent.
Ils sont six. Six hommes journalistes, la plupart ouvertement gays, souvent bien installés dans des rédactions. Et pourtant un seul a bien voulu parler à visage découvert. Le sujet ? L'impact de la masculinité toxique sur leur environnement de travail. Les ressorts sont connus et largement étudiés : pour asseoir leur virilité, pour affirmer leur identité masculine, certains hommes hétérosexuels forment des « boys’ clubs » (littéralement clubs de garçons). Un phénomène qui correspond exactement à ce qu’il s’est passé avec la « Ligue du LOL ». C’est via ce groupe Facebook, créé par le journaliste Vincent Glad, que des dizaines d’influenceurs ont pu harceler impunément, via Twitter, des femmes et quelques hommes. Près de neuf ans après les faits, quasiment tous occupaient des postes de pouvoir au sein de grandes rédactions nationales.
Les têtes sont tombées depuis les révélations de Libération et l’on aurait pu croire à des faits isolés à un petit groupe de trentenaires parisiens. Sauf que depuis le début de la semaine, des affaires du même genre ont été révélées par la presse. Ici, c’est à Vice que l’on découvre l’existence d’une discussion privée et sexiste réservée aux hommes hétéros de la rédaction. Là, c’est au Huffington Post que l’on apprend que trois journalistes ont été licenciés après la découverte d’une chaîne privée Slack sobrement intitulée « Radio Bière Foot », où les insultes sexistes, racistes et homophobes fusaient. Et puis il y a aussi le cas de l’École de journalisme de Grenoble, où des faits similaires ont été rapportés.
Ces révélations ont mis en lumière un système encore manifestement très ancré, y compris dans des rédactions perçues comme progressistes, où des hommes se sociabilisent en groupe en dénigrant et écrasant toutes celles et ceux qui ne répondent aux codes de l’hétérosexualité blanche et masculine. Et si ce sont bien les femmes qui pâtissent en premier lieu de ces comportements, les hommes gays et bis en sont eux aussi souvent victimes. Obligés de cacher leur sexualité, de s’auto-censurer, de quitter leur travail, de refuser des postes… les nombreux témoignages recueillis par Komitid montrent combien ces systèmes de domination impactent le vécu des journalistes gays et bisexuels.
« Ce culte de la virilité ça me faisait du mal »
Six mois plus tard, Baptiste, la vingtaine bien entamée, en tremble encore. « J’en suis sorti assez traumatisé, j’ai eu pendant longtemps des crises de panique dès que j’étais entouré de mecs hétéros. » Le journaliste ouvertement gay a quitté son poste l’été dernier. Pourtant, tout avait bien commencé : Baptiste est débauché par une start-up parisienne pour faire de l’éditorial. La promesse : écouter ses idées et « faire inclusif ». Mais très vite, les choses se gâtent. Au téléphone, le jeune homme raconte comment il s’est senti exclu et mal à l’aise dès les premiers instants. Dans la société, dirigée par trois trentenaires blancs et hétérosexuels, régnait une jolie ambiance d'entre-soi testostéroné, une « culture de l’entreprise cisgenre hétéro très masculine, où ils ne parlaient que de sports, de foot et de bière, aussi cliché que cela puisse paraître », explique Baptiste.
« Au bout de deux mois, je leur ai fait comprendre que je n’étais pas à l’aise, à cause de ce culte de la masculinité et que je n’avais pas l’habitude de bosser avec que des mecs, encore moins tous issus du même moule d'école de commerce ou d'ingénieurs », se souvient-il. « Ils étaient étonnés que je leur dise ça. Deux mois plus tard : ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient pas me garder parce que “tu t’excuses d’être là, tu as peur d’être là”. Je leur ai fait comprendre que oui c’était le cas. Leurs blagues sexistes, ce culte de la virilité, ça me faisait du mal. »
« Il m’a toujours été impossible de m’asseoir à table avec eux pour déjeuner, ils ne me faisaient pas de place, bien fiers de leur manspreading. »
Comme cela a été le cas chez Vice, Baptiste a suspecté l'existence d'une chaîne de discussion réservée aux hommes hétéros de l’entreprise. Et le journaliste de se souvenir d’une anecdote symbolique : « Il m’a toujours été impossible de m’asseoir à table avec eux pour déjeuner, ils ne me faisaient pas de place, bien fiers de leur manspreading. » Résultat, Baptiste mangeait seul à son bureau. C’est l’exclusion sociale qui se double d’une exclusion physique. Et Baptiste qui finit par quitter le navire.
Autocensure et suspicion de biais
Parmi les témoignages que Komitid a recueillis, tous ne partagent pas une expérience aussi dramatique. Beaucoup décrivent des mécanismes plus insidieux qui peuvent conduire à une forme d'autocensure. « Pendant plusieurs années, j’avais des réticences à aborder des sujets en lien avec les personnes LGBT+, j’y allais sur la pointe des pieds, comme si j'étais moins légitime », raconte Florent, en poste dans un grand quotidien national. Un cas loin d’être isolé, qui rappelle celui de certaines journalistes femmes qui se refusent à s’emparer d’angles focalisés sur le féminisme de peur qu’on les accuse d’avoir un traitement biaisé du sujet.
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