« Ligue du LOL » : « les mises à pied c'est bien mais on veut des embauches de femmes et de minorités aux postes à responsabilité »
Depuis quelques jours, plusieurs journalistes parisiens sont accusés de cyberharcèlement. Pour Komitid, Clémence Allezard, co-présidente de l'AJL revient sur les enseignements à tirer de l'affaire. Et appelle les rédactions à se remettre en question.
Si vous n’êtes pas un utilisateur ou une utilisatrice active de Twitter, le hashtag #LigueduLOL ne vous dira peut-être rien. Pourtant, depuis le vendredi 8 février dernier, la phrase est utilisée par de nombreuses journalistes, rejoint par quelques confrères et consœurs, pour dénoncer le cyberharcèlement dont ils et elles ont été victimes il y a plusieurs années. Comme l’explique un article de Libération, point de départ de cette affaire, les faits auraient été perpétrés par des journalistes, la plupart des hommes, désormais bien installés dans les rédactions parisiennes.
Au départ, « La ligue du LOL » est un groupe Facebook, créé en 2009 par Vincent Glad, journaliste pour Libération. S’y retrouvent alors, comme l’explique Le Monde, les stars de l’époque de Twitter, réseau social encore confidentiel. Outre Glad, on y lit de nombreux journalistes désormais bien placés comme Alexandre Hervaud (chef de la rubrique web chez Libération), Christophe Carron (actuellement rédacteur en chef de Slate.fr), Henry Michel ou David Doucet (chef du web aux Inrocks). « On y faisait des blagues, un travail de veille, c’est d’un commun absolu, il n’y a jamais eu, à l’intérieur de ce groupe, d’obsession antiféministe. On se moquait de tout, et tout le monde », peut-on lire dans un témoignage anonyme relayé par Libération.
Sauf que… Sauf que cette trentaine de personnes est accusée d’avoir cyberharcelé de nombreuses femmes mais aussi quelques hommes, diffusant montages pornographiques et injures sur les réseaux sociaux. Depuis vendredi, ils et elles sont des dizaines, comme la militante Daria Marx, la vulgarisatrice scientifique Florence Porcel ou encore l’auteur Benjamin Le Reilly, à avoir confié avoir été victimes de « la ligue du LOL ». Tous et toutes décrivent des insultes incessantes, sexistes, racistes, grossophobes et LGBTphobes. Certaines racontent comment leur carrière a été brisée. Florence Porcel y décrit même un canular téléphonique encore en ligne il y a quelques jours. « Ils étaient absolument infâmes sur Twitter », expliquait ainsi la journaliste Nora Bouazzouni à Libé. « C’était de l’acharnement, je me suis aussi fait harceler, avec des insultes, des photomontages, des gifs animés avec des trucs pornos avec ma tête dessus, des mails d’insulte anonyme. C’était le forum 18/25 de jeuxvideo.com avant l’heure. Ils s’en prenaient, à plusieurs, à la même personne. Et comme ils avaient des comptes très influents, ça prenait tout de suite une ampleur importante. »
« Trentenaires blancs branchés barbus masculins »
La plupart des journalistes accusés de cyberharcèlement ont réagi ce week-end, en s’excusant ou en demandant pardon à leurs victimes. Libération a d’ailleurs d’ores et déjà mis à pied Alexandre Hervaud et Vincent Glad, le temps d’une enquête interne. Mais sur les réseaux sociaux, des internautes pointent du doigt l’impunité dont ont bénéficié ces hommes, qui occupent souvent des postes à responsabilité. Comme le fait remarquer le journaliste Lâm Hua, la plupart d’entre eux sont des « trentenaires blancs branchés barbus malins », auquel on rajoutera « hétérosexuels ». Comme l’explique Têtu, l’homophobie a d’ailleurs été régulièrement utilisée comme ressort humoristique par les membres de la ligue.
La Ligue du LOL ? Rien d’autre qu’un « boys’ club », comme l’explique justement la militante Valérie Rey-Robert, qui reproduit les mécanismes classiques de la domination masculine : cooptation, compétition malsaine empreinte de masculinité toxique et remise en cause des femmes et des minorités. Serait-ce la fois de trop qui fait se remettre en cause la presse française ? Komitid a joint par téléphone Clémence Allezard, productrice de documentaires pour France Culture et co-présidente de l’Association des journalistes LGBTI (AJL) pour lui poser la question. Interview.
Komitid : Quelle a été la réaction de l’AJL à la découverte de l’affaire ?
Clémence Allezard : On a été tous et toutes sidérées, voire effrayées à la lecture des témoignages des différentes personnes touchées. De voir cette petite clique de mecs blancs hétéros, qui ont cyberharcelé pour arriver à des postes de pouvoir dans des grandes rédactions… De voir qu’ils ont écrasé des minorités, que leur socialisation est passé par de l’humiliation des minorités et des femmes et qu’ils aient pu se coopter, ça n’est pas quelque chose que l’on découvre.
« On sait que c’est comme ça que fonctionne la société et il n’y a pas de raison que les rédactions échappent à ça »
On sait que le patriarcat fonctionne comme cela. On connait cette solidarité masculine qui se base sur une culture de l’humiliation et de masculinité toxique. On sait que c’est comme ça que fonctionne la société et il n’y a pas de raison que les rédactions échappent à ça. Mais il est vrai que l’ampleur du cyberharcèlement nous a sidéré.e.s. Mais dans un deuxième temps, cela révèle aussi qu’il y a un travail qui n’a pas été fait par les grandes rédactions parisiennes.
« Cela a un coup psychologique et social pour les femmes et les minorités, qui se sont faites écraser pour que ce petit groupe existe et gagne en puissance. »
Cette « Ligue du LOL » rappelle d’autre clubs exclusivement masculins et hétéros qui peuplent la société française…
Ce sont les mêmes mécanismes qui sont à l’œuvre. C’est un petit groupe d’hommes qui sont tout sauf des loosers, contrairement à ce qu’a pu dire Mounir Mahjoubi. Ce sont justement plutôt des gagnants, qui étaient des pionniers de Twitter. C’est ce qu’on voit dès les grande écoles, à Science Po, dans les écoles de médecine… ce n’est pas propre au journalisme. C’est le phénomène tristement banal d’un mode de socialisation masculine et l’affirmation d’une masculinité toxique. Cela a un coût psychologique et social pour les femmes et les minorités, qui se sont faites écraser pour que ce petit groupe existe et gagne en puissance.
Quelle doit être la réponse des rédactions concernées, au delà d’excuses ou de mises à pied ?
Vu les rédactions concernées, Libération, Slate ou Les Inrocks dans une moindre mesure, on se dit que ce sont des médias qui traitent souvent très bien des questions liées aux minorités et au féminisme. Mais la question qu’il faut se poser, c’est celle de qui est encore au pouvoir ? A-t-on promu l’accès à des postes clefs à des minorités sexuelles et racisées dans ces médias là ? À-t-on des femmes noires, des lesbiennes, des gays aux postes de rédaction en chef ? Ou est-ce que l’on se positionne de façon un peu opportune sur ces sujets là parce que l’on sent que le vent a tourné ou parce qu’il est bon ton de dégainer une carte d’allié.e ?
Les chiffres de la Commission de la carte d’identité des Journalistes montrent d’ailleurs que les hommes sont sur-représentés chez les chefs…
Oui absolument. Et ça ne s’arrête pas là. On parle beaucoup plus à des experts qu’à des expertes. Il n’y a pas de grande réflexion sur ce sujet et ça n’est d’ailleurs pas lié exclusivement aux médias concernés par « La ligue du LOL ». Les mises à pied c’est bien mais maintenant on veut des embauches et des promotions, on veut des femmes noires, des personnes LGBT aux postes à responsabilité ! Parce que ce n’est pas qu’un problème d’individus, c’est un problème de système. La prise de conscience ce n’est pas juste des mea culpa, ce sont des actes.
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