« Carmen et Lola », gitanes amoureuses
Jolie romance lesbienne, « Carmen et Lola » vaut pour ce qu’il raconte du milieu qu’il scrute, la communauté gitane espagnole. Ce monde en vase clos cultive une homophobie qui va de pair avec les rôles très précis qu’il attribue aux personnes selon leurs genres. Éclairages sur le travail préparatoire de la réalisatrice de ce premier film, Arantxa Echevarria.
Disons-le d’entrée de jeu, Carmen et Lola n’est pas le film lesbien de l’année mais comme son prédécesseur kenyan Rafiki, sorti en septembre, il a le mérite de poser un regard tendre sur une communauté qui ne l’est pas avec les amours homosexuelles. Ici, c’est le monde des gitans de la banlieue de Madrid qui sert de cadre à cette jolie histoire d’amour entre deux jeunes filles.
La réalisatrice Arantxa Echevarria avait envie de parler du premier amour et le sujet, le cadre et les personnages se sont imposés dès le début du projet : « Je voulais parler d’un premier amour, ce moment dans la vie qui nous rend à la fois si fragile et radical. Les sentiments d’un premier amour sont extrêmement intenses. Les adolescent.e.s ne savent pas quoi ressentir ou répondre à toutes les questions qu’on leur pose comme : « qui veux-tu être quand tu seras grand-e » ou « quelles sont tes préférences sexuelles » ? C’est un moment particulier, le corps change et il est difficile de se sentir confiant. J’ai vu dans un journal en 2009 un article qui racontait le premier mariage entre deux filles gitanes avec une photo d’illustration sur laquelle elles étaient de dos pour qu’on ne voit pas leurs visages. Il n’y avait pas leurs noms et leurs familles n’étaient pas présentes. Cela m’a peiné et j’ai voulu prendre la photo du journal et la retourner pour voir leurs visages, alors me sont apparues Carmen et Lola ».
Bonne ménagère, épouse dévouée, mère aimante
Carmen prépare ses fiançailles avec Rafael mais dans les faits, ce sont plutôt les deux pères de ces jeunes gens qui sont aux commandes, se vantant l’un l’autre les mérites comparés de leurs progénitures selon les attendus, les standards de la communauté gitane : elle est promise à un destin de bonne ménagère, d’épouse dévouée et de mère aimante, lui devra se montrer à la hauteur de son rôle d’adulte mâle tout puissant. Mais, sur le marché sur lequel elle travaille, Carmen va rencontrer la jeune Lola, cousine de son fiancé, lors d’un coup de foudre sous l’orage. Lola est une jeune femme sur la voie de l’émancipation. Elle chatte discrètement avec d’autres jeunes femmes lesbiennes dans le cyber-café du coin, s’exprime par l’art, dessinant des silhouettes d’oiseaux partout où elle le peut et veut faire des études. Leur rencontre et la façon dont elles vont tenter de vivre leur amour est traitée avec délicatesse et les répercutions familiales, et le cortège de réactions violentes attendues se matérialisent de façon assez classique dans ce genre de récit.
« J’ai rencontré une jeune fille gitane en ligne en lui expliquant ma démarche et elle m’a présenté une quinzaine de filles gitanes sur une période de deux ans. »
La réalisatrice a rencontré de nombreux témoins pour écrire Carmen et Lola : « La partie la plus difficile du projet a été de se documenter pour l’écriture du scénario. Je suis allé partout, voir des associations de gitans et des associations LGBT mais ces ados-là ne demandent jamais d’aide dans ces structures. Après réflexion, je me suis dit que ces personnes avaient besoin de communiquer, de rencontrer des gens comme elles, et j’ai donc enquêté via internet, les chats anonymes. J’ai rencontré une jeune fille gitane en ligne en lui expliquant ma démarche et elle m’a présenté une quinzaine de filles gitanes sur une période de deux ans. Leurs histoires étaient incroyables, certaines étaient mariées de force, d’autres exilées dans d’autres villes ou enfermées dans leurs chambres. Et malheureusement ce n’est pas près de changer ».
La recherche de la beauté
Là où le film d’Arantxa Echevarria se distingue des autres « coming of age » lesbiens, c’est dans son exploration précise de la communauté gitane, de ses rites, de ses traditions, des codes d’honneur et de son héritage : « Pour la communauté gitane, l’homosexualité est un immense tabou. Les personnes qui se sentent différentes ne sont pas admises. Une femme gitane doit être une épouse et une mère et ne pas suivre ce parcours imposé est pris comme une opposition à sa propre communauté et à son héritage. L’homosexualité est toujours cachée, pas dans un placard mais dans une petite boîte fermée à clé ». Ces lieux de vie, cloisonnés dans les zones périurbaines madrilènes qui servent de décors à cet amour naissant sont filmées avec un regard bienveillant.
Pour Carmen et Lola, Arantxa Echevarria cite parmi ses sources d’inspiration Mustang, le film de Deniz Gamze Ergüven sorti en 2015 qui suivait le parcours d’un groupe de jeunes femmes turques fuyant son village et les mariages forcés qui les attendaient. Les deux films ont aussi en commun leur recherche de la beauté : ici, les lignes architecturales simples dont parfois les matières brutes semblent absorber les rayons d’un soleil éclatant présentent des visages changeants, comme ses héroïnes qui sont prises dans un tourbillon amoureux qui les bouscule et peut à tout instant leur faire perdre pied. Ce cadre de vie matérialise celui plus lourd, plus pesant et enfermant que représente la tradition religieuse et patriarcale qui régit la communauté. Ces cadres qui deviennent plus acceptables, plus supportables quand on conserve des courriers dans une boîte cachée ou quand des oiseaux peints sur les murs leur donnent un peu de la liberté qui leur manque tant.
Propos de la réalisatrice recueillis par l’auteur
Carmen et Lola
Réalisation : Arantxa Echevarria
Drame/Romance – Espagne – 1h43
Distribution : Zaira Romero, Rosy Rodriguez, Rafaela León, Moreno Borja et Carolina Yuste
En salles le 14 novembre 2018