« RBG », portrait d'une icône féministe
Ruth Bader Ginsburg a 85 ans et siège à la Cour Suprême des États-Unis depuis plus de 25 ans. Avocate, juge, mère et épouse, elle a révolutionné la perception du genre par la loi américaine. Le documentaire qui lui est dédié, sorti en salles le 10 octobre, dresse le portrait complet de cette figure incontournable du combat féministe. Passionnant et instructif !
« Je ne réclame aucune faveur pour les personnes de mon sexe, tout ce que je demande à nos frères, c’est qu’ils veuillent bien retirer leurs pieds de notre nuque ». Cette phrase de la militante féministe Sarah Grimké ouvre le film documentaire consacré au parcours hors du commun de Ruth Bader Ginsburg qui en a fait son mantra. Cette femme de 85 ans, rebaptisée Notorious RBG et vue comme une super-héroïne par la pop culture, est, pour ses opposants, au choix « une sorcière malveillante », « la honte absolue de la Cour Suprême », ou encore une « anti-américaine », un « zombie ». Pourtant cette femme a bel et bien changé, en plus de 50 ans de carrière, la vie des femmes américaines.
Née à Brooklyn de parents russes et juifs venus tout droit d’Odessa, Ruth passe son enfance entre devoirs et piano, même si elle trouve le moyen de grimper en douce sur les toits avec ses copines du quartier. A 17 ans, tout se précipite, elle sèche la remise des diplômes de son lycée, le cancer ayant eu raison de sa mère la veille, elle intègre l’Université de Cornell, rencontre Marty, son futur mari (« Le premier qui s’est intéressé au fait que j’avais un cerveau » dira-t-elle) et devient une très jeune mère. Le documentaire, riche en images d’archives et en témoignages fait toujours preuve d’un grand souci du détail historique et de la contextualisation des faits. Notamment quand il rappelle, au détour d’une phrase, qu’à l’époque, dans l’université new-yorkaise que Ruth Bader Ginsburg fréquente, il y a une femme pour quatre hommes.
Step by step
Elle regarde avec émotion les images de sa jeunesse et commente à sa façon : d’une voix douce, toujours emprunte d’une certaine retenue. Elle évoque son arrivée à Harvard, dans une promotion, celle de 1957, qui compte 9 femmes pour 500 hommes et qui oblige à la réussite pour ne pas « échouer au nom de toutes les femmes », l’étendue des inégalités et des indignités qui « faisaient partie du décor ». Elle respecte à la lettre les préceptes enseignées par sa mère, être une lady , être indépendante et ne jamais céder à la colère au risque de ne pas être entendue sur le fond. Tant et si bien que, dès sa deuxième année, elle contribue à la Law Review de Harvard, publication hyper sélective qui n’accepte dans ses rangs que les 25 meilleurs de l’école.
Les années 70 se profilent, les images des manifestations féministes explosent à l’écran sur fond de Janis Joplin. C ‘est le moment d’agir. De se faire entendre. Ruth veut mettre ses compétences au service de la lutte pour que la loi s’intéresse enfin au genre. Elle monte Women’s Rights Project s’inspirant de ceux qui ont lutté pour les droits des minorités raciales ou sexuelles. Avocate, elle défend notamment Sharon Frontiero, jeune femme militaire, qui ne percevait pas la même allocation que les hommes. L’affaire ira jusqu’à la Cour Suprême, elle plaidera devant les 9 juges, tous des hommes, en rappelant l’histoire complète de la discrimination des femmes par les États-Unis. Première victoire qui n’est qu’un premier pas pour celles qui croit dur comme fer au step by step. Arrive le cas d’un homme dont la femme meurt en couches et qui se voit refuser l’allocation sociale, puisqu’elle est dite « maternelle ». C’est un cadeau tombé du ciel pour l’intrépide RBG.
Une stratégie géniale
En défendant ce cas de discrimination dont la victime est un homme, elle trouve le moyen de se mettre les juges (toujours des hommes) dans la poche et de leur faire admettre par décision de justice que la discrimination liée au genre existe bel et bien. Stratégie géniale, elle gagne le procès à l’unanimité ! Au fil des années et des procès, elle redessine les contours de la loi américaine pour tendre vers la notion d’égalité, définies noir sur blanc dans une clause du 14ème amendement de la Constitution comme elle se plaît à le rappeler à des lycéens devant qui elle vient raconter son histoire. Jimmy Carter la nommera en 1980 à la Cour d’appel des États-Unis et il ne fallut que 15 minutes à Bill Clinton pour la propulser à la Cour Suprême en 1993.
Le documentaire raconte également des détails passionnants sur la femme qu’elle est, avec ses enfants et petits-enfants (qui témoignent dans le film), avec son mari dévoué et très drôle et même avec ses pires adversaires tels le juge Scalia, son plus fervent opposant républicain à la Cour Suprême, avec qui elle entretient une véritable amitié sur fond de passion commune pour l’Opéra. Elle s’illustrera également dans le fameux procès des États-Unis contre l’état de Virginie au sujet de l’école militaire VMI qui refusait la mixité. En réussissant à faire en sorte que l’école devienne mixte, elle rend justice au principe qui a guidé sa vie : « Ne pas exclure les femmes juste parce qu’elles sont des femmes ». C’est aussi grâce à elle que sera proclamée le « Lilly Ledbetter Fair Pay Act » sur l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, la première loi signée par le Président Obama en janvier 2009.
Ce documentaire est le support idéal pour faire la connaissance de cette femme passionnée et mesurée à la fois, réservée mais à l’humour toujours provocateur notamment quand elle répond à un journaliste qui lui demande quel serait le nombre idéal de femmes juges à la Cour Suprême : « Neuf ! Il y a bien eu neuf hommes jusqu’en 1981 sans que cela choque personne ! ».
RBG
Réalisation : Betsy West et Julie Cohen
Documentaire – États-Unis – 2018 – 1h38
Distribution : Ruth Bader Ginsburg, Gloria Steinem, Nina Totenberg, … (avec la voix en VF de Zabou Breitman)
En salles le 10 octobre
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