Panorama du cinéma colombien : 4 films sur la question trans en Amérique du Sud
Pour sa sixième édition qui aura lieu à Paris du 10 au 16 octobre, le festival « Panorama du cinéma colombien » met à l'honneur trois documentaires et une fiction consacrés à des histoires de personnes transgenres, en Colombie bien sûr mais également au Chili, au Costa Rica et au Brésil. Demandez le programme !
Belle idée du festival Panorama du cinéma colombien que de faire un focus sur la question trans en Amérique du Sud et, de façon visible, puisque c’est le film d’ouverture, en compétition, qui inaugure cette programmation de quatre films. Señorita Maria, la falda de la montaña (Mademoiselle Maria, la jupe de la montagne) est un documentaire qui fait le portrait d’une femme étonnante et touchante. Maria, vit dans un petit cabanon de montagne, elle élève des vaches, entretient des champs de maïs, et, bien que née homme, porte la jupe chaque jour car, dit-elle, « la Sainte Vierge n’a jamais porté de pantalon ! ». Sa vie quotidienne, quasi solitaire, isolée, ses visites au village et à l’église dessinent le portrait d’une femme très pieuse qui vit sa situation de genre comme elle peut malgré les regards réprobateurs, les sifflets et moqueries des villageois et les procès en sorcellerie. Extrêmement bien réalisé par Ruben Mendoza, ce documentaire sort des sentiers battus et de l’imagerie dominante et rebattue sur les femmes transgenres pour donner un autre point de vue : un portait sensible d’un destin hors-du-commun.
Portrait de Linn
Autre portrait, autre destin, Kiko Goifman et Claudia Priscilla nous invitent dans le quotidien de Linn da Quebrada (un pseudo qui signifie « la belle fauchée »), star trans d’un rap/funk brésilien queer, provocant et subversif. Le documentaire qu’il et elle lui consacrent, Bixa Travesty (Teddy Award du meilleur documentaire en février dernier au festival de Berlin), est hallucinant d’énergie et d’affirmation. Que ce soit en concert avec son acolyte Jup do Bairro ou dans sa vie de tous les jours, Linn qui a grandi dans un quartier pauvre de São Paulo est une star, une diva mais aussi une voix qui parle et chante haut pour les minorités (trans, blacks, queers) qu’elle représente avec une foi immuable . Des images de concerts, d’émissions de radio et de télévision dans lesquelles Linn donne de la voix pour défendre sa vision du féminisme et de l’acceptation, mais également des images intimes, en famille, ou même à l’hôpital lorsqu’elle lutte contre un cancer, composent un portrait au plus près d’une personnalité à la fois jeune, complexe et dont la grande gueule est le meilleur porte-voix, qu’elle parle, qu’elle hurle, qu’elle rappe ou qu’elle rie. L’énergie et l’engagement de Linn da Quebrada font un bien fou. Pas « politiquement correcte », elle est l’une des voix majeures de la culture queer brésilienne et les textes de ses chansons, ses musiques comme ses punchlines improvisées résonnent longtemps après la vision de ce documentaire enthousiasmant.
Avant de dire adieu
Abrazame como antes (embrasse-moi comme avant), le film de fiction de cette programmation thématique vient du Costa Rica et tire son titre d’une chanson d’amour populaire connue en France sous le titre « Avant de nous dire adieu » (interprétée par Jeane Manson ). Deuxième film de Jurgen Urena, Abrazame como antes, à la durée inhabituelle pour un film de fiction (tout juste un peu plus d’une heure), propose une plongée dans l’univers des femmes trans prostituées des trottoirs de San José, capitale du Costa Rica qui regroupe dans son agglomération près de 30 % de la population du pays. Veronica, l’héroïne, recueille un jeune homme, renversé lors d’un accident de voiture. Le garçon, perdu, blessé et mutique, découvre un monde qui lui est étranger. Mais son arrivée dans ce foyer particulier va redistribuer les cartes dans un monde fait d’ultra féminité, d’apparence et d’enjeux de séduction. Le film surprend par son traitement de thématiques souvent ignorées, que ce soit la misère affective et les difficultés financières, ou les problèmes liés à l’âge, une obsession pour ces femmes qui doivent rester séduisantes pour travailler et vivre. Abrazame como antes creuse un sillon entre tension et doute, entraide et concurrence, séduction et abandon, dans des halos de lumières aux couleurs franches et des ambiances nocturnes d’une grande beauté formelle.
Transitions en pays hostile
Pour finir ce tour d’horizon, le Panorama du cinéma colombien propose également le documentaire En Transito (En Transition) de Constanza Gallardo qui suit le parcours de quatre personnes trans dans un pays qui ne les accepte pas, le Chili. Ces portraits croisés montrent avec bonheur la diversité des parcours : Gis qui veut changer de prénom social, vit « comme un garçon » mais souhaite conserver son genre et son corps de femme, Matias, ado F to M soutenu par une famille aimante et qui s’interroge sur son avenir, ou encore Paty, femme trans plus âgée, qui cherche l’amour et sait sa chance d’avoir trouvé un emploi malgré les difficultés liées à son identité de genre dans un pays encore très conservateur sur ces questions. Et puis il y a Mara, jeune étudiante trans d’une vingtaine d’années qui a publié un livre et ne rate jamais une occasion de se présenter à un joli garçon malgré ses tenues « de grand mère » imposée par une maman préoccupée. Son engagement et sa fraîcheur donnent à ce documentaire une force supplémentaire. Son destin tragique n’entachera pas la beauté éternelle de son sourire, celui d’une jeune fille pleine de rêves et d’espoirs en train de s’accomplir en tant que femme.
Panorama du cinéma colombien, du 10 au 16 octobre 2018
Ouverture à L’Arlequin, programme diffusé au Reflet Médicis
Plus d’informations : panoramaducinemacolombien.com
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