Queers dans un jardin anglais, épisode 3 : la nature moderne de Derek Jarman
Troisième et dernier épisode d'une série consacrée au patrimoine queer anglais à travers ses jardins… Ultime étape au hameau de Dungeness, autour du cottage de Derek Jarman.
À travers un voyage estival sur les traces d’écrivain.e.s, militant.e.s et artistes queers qui partageaient tout.e.s à leur manière une passion pour les jardins, retour sur trois histoires singulières, trois lieux de vie dont l’originalité témoigne d’un certain usage de la botanique et des fleurs, du rôle joué par le jardin dans leurs modes de vie. Trois exemples qui témoignent aussi du risque de disparition des mémoires queers, souvent minorées dans les mains des histoires officielles.
Après un premier épisode à Charleston’s Farmhouse, une escale à Sissinghurst Castle, rendez-vous à la demeure de Derek Jarman pour ce dernier épisode…
Il faut s’aventurer sur la lande qui sépare la plage de galets des premières maisons de pêcheurs pour comprendre la fascination qu’a pu exercer le hameau de Dungeness sur l’un des réalisateurs queers phare des années 70-80, Derek Jarman. Réalisateur, acteur scénariste, militant ouvertement séropositif dès 1986, il a laissé de nombreux films, notamment la relecture homo-érotique tournée en latin du martyr de Saint Sébastien, un film punk Jubilee, ou encore une oeuvre testamentaire évoquant sa séropositivité, Blue.
Ni informations, ni explications sur le cottage et son jardin
La mer opaque aux courants violents, le vent qui souffle sans discontinuer, et surtout au loin, une gigantesque centrale nucléaire vieillissante et maintes fois épinglée pour sa vétusté (reprise par EDF en 2014) : tout concourt à donner au paysage des allures de fin de monde post-industriel. Parmi les petites habitations, des champignons vivaces combattant âprement une terre hostile. La plus belle demeure est sans conteste celle de Jarman, aux murs noirs et embrasures jaunes citron.
Lorsque je m’arrête sur la petite route goudronnée en fin d’après-midi, unique délimitation qui empêche le jardin de se fondre complètement avec le paysage, quelques visiteurs déambulent encore entre les carrés de plantes, les structures géométriques de tôle et de bois flotté sur lesquelles les plantes continuent de pousser. Le jardin, entretenu par les rares occupant.e.s du cottage, est loin de rendre justice à son exubérance et à sa richesse passées. Pourtant, un tourisme d’affection s’est mis en place depuis la mort de Derek Jarman, en 1994.
Aujourd’hui, nous sommes plusieurs à rôder dans la lande et autour de la maison, à souhaiter nous imprégner un peu de cette singulière mélancolie qui se dégage des pages de son journal publié en 1992 sous le titre de Modern Nature. Ni informations, ni explications sur le cottage - dont l’occupation actuelle est encore laissée à la discrétion de son dernier compagnon (j’apprendrai sa mort à mon retour en France) et de ses cercles proches - n’ont été mises à disposition des visiteurs ou visiteuses éventuelles.
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