« Avec LEXIC², on veut comprendre pourquoi une personne LGBT+ a trois fois plus de risque d'être victime de violences sexuelles »
Le projet LEXIC² est né au Québec de la volonté de comprendre pourquoi les personnes LGBT+ sont surreprésentées parmi les victimes de violences sexuelles. L'objectif est de contrer cette réalité en développant des outils pour une meilleure prise en charge des victimes.
Trois fois plus de risque d’être victime de violences sexuelles lorsque l’on est une personne des communautés LGBT+. Pourquoi ? Comment lutter contre cette réalité ? Une association étudiante québécoise porte actuellement le projet LEXIC² (Laboratoire des expériences et des intersections pour comprendre et contrer les violences sexuelles vécues par les communautés LGBTQ+) pour étudier et apporter des solutions à ce constat effroyable. Pierre McCann, coordonateur de LEXIC², prend la parole pour expliquer les raisons d’une telle réalité et comment se construit ce projet financé à la fois par le ministère de la Justice du Québec et par le secrétariat à la condition féminine.
L’idée du projet LEXIC² part du constat que les violences sexuelles sont actuellement traitées de façon assez genrée : un homme qui agresse une femme. On ne nie pas que c’est une réalité dans la majorité des cas, mais en même temps il y a un nombre non négligeable de personnes qui ne se reconnaissent pas dans cette binarité là.
Ce constat a été fait par l’Association étudiante du Cégep de Sherbrooke (AÉCS) dans le cadre de la campagne Ni viande, ni objet. C’est une campagne qui se voulait non-genrée, mais les étudiant.e.s ont constaté que les personnes LGBT+ ne se reconnaissaient pas dedans, ni dans toutes les autres campagnes à ce sujet. En échangeant entre les différent.e.s acteurs et actrices du milieu, on a eu une prise de conscience : il fallait quelque chose de plus adapté pour réunir les personnes des communautés LGBT+ et les organismes qui travaillent auprès d’elles.
L’objectif principal du projet est de comprendre et de contrer les violences sexuelles vécues par les personnes LGBT+. Nous avons mobilisé un groupe de travail d’experts et d’expertes, mais aussi d’activistes et d’intervenant.e.s de terrain qui œuvrent à l’intersection des violences sexuelles et des personnes LGBTQ+. C’est un comité qui vient définir les grandes lignes parce que c’est un nouveau champs. Il y a eu des études, particulièrement de la part de chercheurs et de chercheuses anglophones, mais chez nous au Québec c’est assez nouveau, donc ce comité là est très important.
« Les personnes LGBTQ+ sont surreprésentées parmi les victimes de violences sexuelles »
Selon les données récoltées par des études québécoises, canadiennes et américaines, les personnes LGBTQ+ sont surreprésentées parmi les victimes de violences sexuelles. Il y a au moins trois fois plus de risque de vivre une forme de violence sexuelle quand on est une personne LGBTQ+ par rapport aux autres. Comment l’expliquer ? L’hypothèse qui fait relativement consensus au sein des études, c’est le fait qu’un.e agresseur.e recherche des personnes vulnérables. Cela se fait parfois inconsciemment, mais habituellement c’est fait de façon assez consciente et les personnes LGBTQ+ – de par certaines problématiques vécues en lien avec le coming out, l’isolement, le rejet – peuvent être dans un état de vulnérabilité. Et au sein même des communautés, certains groupes sont particulièrement encore plus à risque d’en vivre : les personnes trans, non-binaires, bisexuelles, et particulièrement les femmes issues de la diversité. Pour ces personnes, le risque est jusqu’à six fois supérieur, voire plus parce qu’un grand nombre de violences sexuelles ne sont pas dénoncées.
« Un grand nombre de violences sexuelles ne sont pas dénoncées »
C’est d’ailleurs là que le projet LEXIC² prend toute sa pertinence, quand on sait que beaucoup de victimes LGBTQ+ ne font pas appel aux services pour plusieurs raisons. Il y a un double voire un triple dévoilement quand on demande à personne des communautés de venir chercher de l’aide. Il faut dire que l’on a été victime de violences sexuelles, ce qui n’est pas facile à faire, mais la personne doit aussi faire un coming out sur son orientation sexuelle voire un troisième sur son identité de genre. Devant cette multitude d’obstacles, certaines personnes vont simplement décider de ne pas dénoncer ce qui leur est arrivé. Il y aussi une méfiance envers les institutions hétéronormatives et cisnormatives, mais aussi homophobes, transphobes…
Quotidiennement, quand je travaille sur ce projet, je n’en reviens pas du nombre élevé de personnes des communautés qui ont vécu une forme ou une autre de violences sexuelles. Un peu comme si être victime de violences sexuelles lorsqu’on fait partie des communautés LGBTQ+ était une fatalité. Le taux de témoignage des personnes avec qui j’ai abordé la question et qui s’identifient comme LGBTQ+ doit approcher de 100 %, mais il y autant de réalités que de cas individuels.
Construire des outils adaptés pour la communauté
À la fin, ce qu’on vise, c’est de créer des outils pour bien former et bien accompagner les intervenant.e.s qui affirment manquer de formation et d’outils concrets dans leur quotidien pour venir en aide aux personnes LGBTQ+ victimes de violences sexuelles. Au niveau des problématiques des personnes trans et non-binaires, ces enjeux-là sont très méconnus de la part des intervenant.e.s qui le reconnaissent eux/elles-mêmes. Il s’agira de construire des outils de formation spécifiques aux réalités des personnes trans face aux violences sexuelles par exemple et de déconstruire certains préjugés. Car avant d’être des intervenant.e.s, ce sont des personnes avec des préjugés comme nous pouvons toutes et tous en avoir. Nous devons les déconstruire avec l’aide de ces outils.
Nous pensons notamment à la réalisation d’un guide d’intervention qui définira les étapes d’intervention et la façon dont elles doivent être appliquées à une personne LGBTQ+ victime de violences sexuelles qui demande de l’aide. Nous avons aussi prévu de réaliser un recueil de témoignages de personnes LGBTQ+ qui ont vécu des violences sexuelles, qui sont passées à travers les services et qui y ont vécu des expériences négatives ou positives.
« Ne laisser personne derrière »
Une des solutions qui a été amenée pour qu’une expertise soit développée au sein du gouvernement, c’est d’avoir des concertations entre les organismes LGBTQ+ et ceux qui interviennent dans le champs des violences sexuelles dans les régions du Québec, et que les institutions soient représentées.
Il faut que ce projet là soit plus pérenne, qu’il s’étale sur plus d’une année. Surtout, au sein des communautés, il y a beaucoup d’intersections qui doivent être abordées : on ne traite pas de la violence entre hommes de la même façon qu’une violence vécue par une personne trans. C’est aussi ça le défi, c’est de ne laisser personne derrière. Et pour cela, il faut avoir les moyens et le temps de le faire.
Propos recueillis et édités par Philippe Peyre.