« Whitney », enquête sur les mystères derrière l’icône
Enfance problématique, succès fulgurant, addictions et abandons, la vie de Whitney Houston est une véritable tragédie. Dans le documentaire qu'il consacre à la chanteuse aux 200 millions d'albums, Kevin Macdonald lui rend justice en pointant les zones d’ombre, les mensonges, les blessures et les secrets. Un film édifiant qui vaut tous les biopics du monde. Décryptage en 4 actes.
Pas besoin de scénario quand il s’agit de suivre de près le destin de Whitney Houston, icône de la pop culture des années 80 et 90, adorée comme une déesse, jugée puis délaissée par le public pour finalement disparaître en 2012 dans des circonstances à la fois obscures et chimiques, à 48 ans, dans sa baignoire. Kevin Macdonald, grand documentariste (D’Un jour en septembre consacré aux JO meurtriers de Munich 1972, réalisé en 1999, à Marley sur la vie du grand Bob en 2013) et réalisateur de fictions (entre autres Le Dernier roi d’Ecosse, 2006, et L’Aigle de la neuvième légion, 2011), a rencontré plus de 70 témoins et consulté des milliers d’heures d’archives et d’images inédites : de répétitions, de moments intimes et celles, les plus saisissantes, tournées par sa coiffeuse et amie, Ellin LaVar avec sa petite caméra 8mm. Avec l’aide des proches de la star (le film est coproduit par Pat Houston, sa belle-sœur et exécutrice testamentaire), le réalisateur britannique a remonté le puzzle, pièce par pièce, d’une vie et d’une carrière qui confinent au chaos.
Acte 1 : la petite fille modèle modelée
Tous s’accordent à le dire, Whitney était une petite fille parfaite : belle, intelligente, appliquée. Tant et si bien qu’elle sera l’objet idéal de la revanche d’une mère choriste, Cissy Houston, cousine de la star Dionne Warwick, qui n’a jamais eu la carrière solo dont elle rêvait. Whitney, qui chante à l’église et suit sa scolarité dans une institution catholique majoritairement blanche, est programmée pour réussir. Sa voix, son charisme feront le reste et tout s’enchaînera très vite au sein d’une famille complètement dédiée à celle qui deviendra dans le même temps une star et une manne financière non négligeable. En 1985, après quelques disques tests et quelques photos comme mannequin, elle sort son premier album et devient en quelques mois la nouvelle coqueluche américaine et, donc, mondiale.
Acte 2 : la star mondiale et ses masques
La petite Nappy est devenue l’immense Whitney Houston, star mondiale dont quasiment tous les titres se retrouvent numéros 1 au mythique classement des ventes du magazine Billboard. Et c’est là que ses démons intérieurs commencent à percer sous le masque : les abus dont elle a été victime enfant et ses addictions multiples (alcool, weed et cocaïne). Et cette rumeur, évoquée dans le film, d’un amour qui aurait été le plus fort et le plus complexe, puisque caché, avec son amie de toujours, Robyn Crawford qui n’a malheureusement pas souhaité témoigner mais qui finalise actuellement un livre de souvenirs. A la question « Whitney était-elle lesbienne ? » clairement posée, le documentaire souffre de l’absence du témoin principal et ne tranche pas vraiment, sans doute par peur d’un procès. Un amour secret donc, on en restera là, qu’elle choisira de rompre pour épouser Bobby Brown, star plus éphémère qu’elle, accro aux mêmes substances, infidèle, jaloux et violent, avec qui elle aura une fille, Bobbi Kristina, enfant perturbée et délaissée par des parents incontrôlables, morte moins de 3 ans après sa mère dans des circonstances similaires.
Acte 3 : Bodyguard et la gloire
Les années 90 marqueront l’apogée de sa carrière, un premier rôle iconique au cinéma aux côtés de Kevin Costner, plus grande star du cinéma du moment, dans Bodyguard, un succès record pour la BO du film, deux albums à succès. Mais tout le monde est lucide dans les témoignages que Macdonald nous donne à voir : c’est pourtant là, en pleine gloire, que tous les éléments de sa chute se mettent en place. Le climat familial est délétère : problèmes de couple, problèmes de drogues, problèmes d’argent dû à une gestion paternelle plus que louche. Peu de non-dits à ce sujet dans les images du documentaire, l’argent est ponctionné et fait vivre toute la famille, et les producteurs cèdent aux moindres caprices de la star qui perd pied.
Acte 4 : la chute
Que serait un parcours de star sans les moments gênants, les sorties pathétiques ? Les deux qui nous sont donnés à voir dans la dernière partie du documentaire font froid dans le dos. Arrêtée au début des années 2000 pour possession de drogues, elle s’isole, demande le divorce, s’appauvrit. La star est brisée, déchue. Dans un de ces extraits, elle tente le fameux mea culpa médiatique, une figure de style incontournable aux Etats-Unis qu’on soit un président libidineux du cigare ou une star un peu portée sur les produits illicites. Et là, face à l’intervieweuse Diane Sawyer, elle craque sur le crack. Interrogée sur ses addictions, Whitney Houston minaude dans un premier temps, puis part en roue libre sur le fait qu’elle ne consomme pas de crack, la drogue des pauvres. Dans l’autre extrait, tout aussi malaisant, la star, autrefois surnommée, elle aussi, the Voice, massacre façon pire karaoké du monde son plus gros tube, le I will always love you de Bodyguard, devant un public qui hue et quitte la salle. Ces images sont celles de la tournée de la dernière chance, censée la remettre à flot financièrement malgré une santé déclinante. Elle chante faux, mal, semble épuisée et ivre à la fois. La fin est proche.
Par la force narrative qu’il impulse à son montage documentaire et la façon dont il contextualise ses images, Macdonald laisse le spectateur plein de bienveillance sur celle dont il raconte l’histoire mais saisi d’un regret : que cette immense artiste, cette femme n’ait jamais vécu sa propre vie. I’m every woman chantait Whitney Houston. Les être toutes, c’est peut-être n’être jamais soi-même.
Whitney
Réalisation : Kevin Macdonald
Documentaire – Royaume-Uni / Etats-Unis
En salles le 5 septembre 2018
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