3 questions à Antoine, le créateur du podcast queer « Garçons »
« Je n’avais pas conscience que se raconter de manière aussi directe et ouverte, pouvait encore constituer un acte militant et, par conséquent, politique. »
« Donner la parole ». C’est, en une phrase, la meilleure façon de résumer le but du podcast Garçons. Créé par Antoine, un parisien de 26 ans, l’émission veut faire entendre les vies et les histoires de garçons gays et queers dans toute leur complexité. Comme dans la série Transfert de Louie Média et Slate, les interlocuteurs parlent seuls pour mieux se raconter.
Pour l’instant, seuls deux épisodes sont en ligne. Dans le dernier, Fred Colby de Aides y aborde les questions de sérophobie de manière émouvante. Pour en savoir plus sur ce projet, qui n’a rien à voir avec Garçon Magazine, Komitid s’est entretenu avec Antoine, qui a préféré ne pas nous donner de nom de famille. Une volonté de rester discret pour mieux laisser parler les autres.
Comment as tu eu l’idée de Garçons Podcast ?
Garçons est né il y a deux ans. Les gens que je rencontre ont toujours tendance à me raconter leur vie sentimentale, leur vie sexuelle, leur parcours, leurs aspirations, etc… Parfois, on me racontait des choses graves, des choses qui n’arrivent pas à tout le monde mais qui étaient forcément arrivées à d’autres. Je ne pouvais pas occulter le fait que si ces histoires étaient rendues publiques, même de façon anonyme, elles seraient entendues, rassureraient certains concernés et en aideraient peut-être d’autres. Je me disais toujours que j’aimerais faire quelque chose de tout ce qu’on me racontait.
Puis, j’ai découvert les podcasts. J’ai toujours aimé le son chaud de la radio et l’absence d’images (je déteste les émissions de radio filmées), et le podcast représentait un espace de liberté renforcé, à mon sens, par son mode de diffusion : internet. Je me suis donc mis à écouter des podcasts, plutôt consacrés à la vie intime d’inconnus. Parallèlement, je cherchais de plus en plus à canaliser des velléités d’engagements politique et militant sans parvenir à trouver comme les exprimer publiquement.
« J’ai pensé que le mieux serait de parler de ce que je connais, de ce qui me concerne en partageant des histoires »
En écoutant des podcasts, je me suis rendu compte que les femmes s’exprimaient beaucoup au micro d’autres femmes (sur des sujets comme la féminité, la sexualité, les violences sexuelles, la maternité, le travail, comment se construire) et j’ai noté que les garçons queers (gay, bi, trans) et, plus globalement, les hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, manquaient peut-être de visibilité car je ne trouvais pas de réel équivalent. Étant eux-mêmes — nous-mêmes — une minorité avec des choses à dire, j’ai pensé que le mieux serait de parler de ce que je connais, de ce qui me concerne en partageant des histoires.
Par ailleurs, durant toute cette période, j’étais asphyxié par tous les moyens à ma disposition pour m’exprimer et partager des choses. J’ai revu Week-end, d’Andrew Haigh avec ces deux garçons qui se réveillent dans le même lit, un matin, après s’être rencontrés en club. Ils ne se connaissent pas et celui qui est l’invité sort un magnétophone et se met à enregistrer les réponses aux questions qu’il pose. Je me suis dit : je veux faire ça. Aller chez les gens, leur tendre un micro et enregistrer leur histoire.
Comment s’est passé le choix de tes interlocuteurs et des thèmes abordés ?
Trouver des garçons qui acceptent de se livrer librement au micro d’un inconnu est difficile et pour cause, les garçons sont plus difficiles à faire parler que les filles. C’est notamment ce qui explique ce délais de deux années entre la conception du podcast et son premier épisode. J’ai tout de suite évacué l’idée de la vidéo et ai proposé l’anonymat à mes interlocuteurs. J’ai réalisé quelques interviews durant l’été 2016 mais on m’a finalement demandé de ne pas les diffuser pour diverses raisons, ça m’a un peu découragé.
« J’entends partager les histoires de garçons cis et trans de tous âges, de tous horizons et pas seulement à Paris »
J’ai choisi de rebondir en réalisant des transcriptions sur un blog mais j’étais déçu du rendu car on y perdait en intimité, en authenticité, c’était long à lire ; je devais effacer les tics de langage, les hésitations, les silences et les fautes de grammaire avec bien moins de tolérance que ne le permet un montage son classique.
Après divers phases de remises en question, d’abandon et de restructuration du projet, je suis parvenu à convaincre Michael et Fred — rencontrés via Twitter — de partager leur histoire et ils ont joué le jeu avec une grande sincérité, et je les en remercie. J’entends partager les histoires de garçons cis et trans de tous âges, de tous horizons et pas seulement à Paris. J’ignore encore comment je rencontrerai mes prochains interlocuteurs mais mes DM sont ouverts sur Twitter et il existe une adresse e-mail où m’écrire.
Quel est ton but principal ? Donner la parole, de la visibilité ?
L’enjeu premier de Garçons est de donner la parole. Il s’agit d’une tribune qui, après une brève introduction de ma part, propose le témoignage d’un garçon queer sans interruption, sans intervention extérieure. Il y a le moins de montage possible, je tiens à conserver l’authenticité de l’échange, le cheminement de pensée de celui qui parle ; les hésitations et les silences sont aussi riches que les mots car ils disent beaucoup et parfois plus encore.
Garçons n’est pas un podcast communautariste car il s’adresse à tous et toutes et je crois en la vertu pédagogique de cette démarche. Il s’agit d’informer, de témoigner et d’éduquer afin d’éradiquer la peur et l’incompréhension pour qu’enfin cesse le rejet. Je pense qu’on peut transmettre et soigner beaucoup de choses par la parole.
« Je n’avais pas conscience que se raconter de manière aussi directe et ouverte, pouvait encore constituer un acte militant et, par conséquent, politique. »
J’ai déjà reçu beaucoup de retours encourageants et constructifs, la plupart sont formulés sous le coup de l’émotion et s’adressent aux garçons qui ont pris la parole et, bien évidemment, tout le mérite leur revient. J’ai la chance d’évoluer dans un environnement où la seule homophobie que je connais est celle dont les autres témoignent et, sans pour autant l’ignorer complètement, les retours sur le premier épisode m’ont appris que je n’avais pas conscience que se raconter de manière aussi directe et ouverte — même en France, en 2018, sans avoir à forcément montrer son visage et à dévoiler son identité — pouvait encore constituer un acte militant et, par conséquent, politique.
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