À Arles, deux garçons s'embrassent et sont poussés dans le Rhône
Il y a quelques jours, un jeune étudiant argentin de 28 ans a été agressé par une bande parce qu'il venait d'embrasser un garçon. La police a qualifié l'attaque, qui vaut au jeune homme une immobilisation de deux mois et une longue rééducation, d'« agression avec vol et tentative de vol ».
Dimanche 24 juin, Julian* étudiant argentin de 28 ans à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, passe une soirée avec un garçon de l’école sur le quai du Rhône, dans le quartier un peu bobo de la Roquette. Vers 21h, alors qu’ils discutent en profitant de la tombée de la nuit et de la beauté du fleuve en contrebas, une bande de jeunes hommes les accoste pour leur demander des cigarettes. Ils s’exécutent et la bande décide de squatter non loin de là.
Quand Julian embrasse le garçon avant que leurs chemins ne se séparent, la bande revient et pousse soudainement le couple. Julian chute sur les contreforts en béton, quatre mètres plus bas et termine dans le Rhône. Il ressortira avec une fracture du tibia, une cheville cassée et une entorse à l’autre. Son ami est lui violemment jeté sur la chaussée. La petite bande récupère un portable et file dans les rues, sous l’oeil d’un autre camarade arrivé en catastrophe.
« Ce n’était pas gratuit »
Si Julian, par chance, ne s’est pas noyé, il est immobilisé pour deux mois et sa rééducation durera de 4 à 6 mois. Son ami est indemne. « La police est venue le lendemain à l’hôpital pour prendre mon procès verbal. J’ai répondu aux questions en spécifiant bien que pour moi la raison de l’agression c’était l’homophobie : ils ont changé d’attitude après que nous nous soyons embrassés. Ce n’était pas gratuit », explique Julian à Komitid.
Dans le procès verbal, pourtant, l’agression a été qualifiée d’« agression avec vol et tentative de vol ». Une définition confirmée par une source proche de l’enquête à Komitid. « C’est vrai que la victime a dit qu’il a embrassé son copain et qu’ensuite il a été poussé, mais il n’y a pas eu d’insultes à caractère homophobe selon les témoins et selon les victimes. Nous attendons d’interpeller les auteurs des faits pour en savoir plus sur leurs intentions ». Le commissariat de police aurait une piste sérieuse, l’enquête suit son cours.
Selon cette même source, les agressions à caractère homophobe restent relativement rares dans la ville des Bouches-du-Rhône, et c’est la raison pour laquelle le commissariat privilégie la version de l’agression par opportunité : « Arles est une ville de culture et une ville touristique, elle est très ouvertes sur les questions de moeurs. Les vols de portables sont très courants par contre, il est vraiment plus probable que ce soit la motivation de cette agression ».
Pas la première fois
Une ancienne élève de l’école d’Arles, Marie* jointe par Komitid, rapporte pourtant qu’une histoire similaire lui est arrivée dans la cité arlésienne, et que la police l’a dissuadée de porter plainte. « J’étais avec ma partenaire de l’époque, nous ne faisions rien d’autre que discuter, certainement d’une façon proche et complice comme le font les amoureux.se.s. Un groupe de personnes habituées à “squatter” les abords de la gare a commencé à nous insulter. Les insultes étaient particulièrement violentes, vulgaires et humiliantes, à caractère exclusivement homophobe. Personne n’a réagi. »
« Mon amie a été profondément choquée. Nous sommes allé.e.s tenté de déposer plainte, ce dont nous a dissuadé l’agent qui nous a reçu.e.s. »
Le couple se sépare, Marie monte dans un bus et son amie est poursuivie par la bande. Une agresseuse lui assène un coup violent au visage pour finalement lui dérober son sac, dans l’indifférence générale. « Notre apparence n’affichait aucun signe de richesse, bien au contraire, et le sac en question ressemblait à un vieux baluchon. De mon point de vue, le vol ne pouvait en aucun cas être le motif premier de cette agression », explique Marie. « Mon amie a été profondément choquée. Nous sommes allé.e.s tenter de déposer plainte, ce dont nous a dissuadé l’agent qui nous a reçu.e.s. Il nous a expliqué que ces personnes risquaient, je cite, de “nous causer des problèmes” et qu’après la confrontation, nous devrions nous “attendre à des représailles” ».
Le couple repart alors, sans avoir porté plainte. « Apprendre qu’une agression similaire, mais d’une violence infiniment plus grande et choquante, me révolte et m’attriste profondément ».
Agressions physiques
Jeudi soir, ce 5 juillet, pour l’ouverture de l’exposition de l’École nationale supérieure de la Photographie, organisée au tout début du Festival International de la Photographie, les camarades de Julian prévoient de dénoncer à leur manière les faits vécus par leur camarade. De son côté, la directrice des études ainsi que l’assistante sociale de l’école assistent Julian dans ses démarches administratives et financières. Le jeune homme, qui avait décroché un poste estival d’attaché d’action culturelle à la prestigieuse fondation Luma, ne pourra pas travailler pendant plusieurs mois.
« Je n’avais jamais pensé que c’était possible ici » dit-il. « Je viens d’Argentine où on a le mariage pour tous depuis 2010, je pensais que la France serait plus avancée que nous. Mais finalement je ne crois pas. C’est surréaliste. »
Pour rappel, les déclarations d’agressions physiques à caractère homophobe ont augmenté de 15 % en 2017 selon le dernier rapport de l’association SOS Homophobie.
*Le prénom a été modifié