Pourquoi des cortèges radicaux ont piraté la Marche des fiertés de Paris
Komitid a suivi les deux cortèges, l'un composé de personnes trans queer et racisées et le deuxième contre le pinkwashing, qui ont pris la tête de la Marche des fiertés de Paris ce samedi 30 juin, et vous raconte pourquoi ils ont marqué cette 41ème édition.
Cette année, la Marche des fiertés de Paris a été marquée par la présence d’un cortège radical qui s’est imposé en ouverture de la Marche, devant le char de l’instance organisatrice, l’Inter-LGBT. Organisé par le collectif Qitoko, un cortège en non-mixité composé de personnes trans, queers et racisées (personnes qui subissent le racisme systémique) s’est élancé sur la rue de Rivoli sous un soleil de plomb à 14h, suivi par un cortège Stop au Pinkwashing ! (stratégie qui vise à se donner une image progressiste en mettant en avant les droits des personnes LGBT+), mené par plusieurs collectifs et associations. Slogans coups de poing contre le racisme, contre le capitalisme et contre les violences policières ont donc été portés en première ligne sous le regard souvent médusé des Parisien.ne.s et des touristes. Retour sur ce piratage historique de la Marche.
« Porter nous-même notre visibilité »
« On ne pensait même pas arriver à Châtelet ! » s’exclame Chris du collectif Qitoko, alors que la tête de la Marche remonte à bons pas le boulevard de Sébastopol. « On pensait que le service d’ordre de l’Inter-LGBT ne nous laisserait pas aller plus loin que la statue de Jeanne d’Arc. »
La présence inédite de ce cortège est en soi tout un symbole : « C’est un jour où on porte nous-même notre visibilité, nos droits et surtout la complexité et la multiplicité de nos identités », rappelle Chris. « C’est super important pour nous car on ne nous entend jamais. Les médias ne nous calculent pas, les autres associations n’en ont rien à faire. Aujourd’hui, on est sorti.e.s de nos quartiers, certain.e.s viennent de Persan, du Blanc-Mesnil, d’autres de Saint-Denis et sont par exemple extrêmement touché.e.s par la gentrification du fait des Jeux olympiques de 2024. Aujourd’hui, on est devant et on représente les personnes LGBTQI musulman.e.s, on représente ceux et celles qui sont migrant.e.s, ceux qui demandent l’asile, ceux qui sont sans papiers, on représente les trans migrantes travailleuses du sexe. »
« Pas là pour être approuvé.e.s »
La présence en ouverture de la Marche des fiertés de ce cortège trans queer et racisé est donc une victoire pour les militant.e.s, tant l’acharnement contre cette initiative a été rude : « On se prend la Licra sur le dos, le Refuge nous traite d’indigénistes (il s’agit de l’Amicale des jeunes du Refuge, fondée par d’anciens bénéficiaires de l’association, ndlr) », déplore Chris avec lassitude. Le refus d’envisager la non-mixité comme un outil politique reste ancré : « Les personnes qui pensent qu’on doit toutes s’unir pour la même cause, celles qui nous parlent d’universalisme, vous êtes là pour dire “les discris au tapis” mais en fait quand les nôtres sont déjà par défaut sous le tapis et occultées, qu’est ce qu’on fait ? Qu’est ce qu’on fait ? ! », interpelle Chris.
Autour du cortège, les badauds sont intrigués par les messages portés par les militants et militantes : « Les sourcils se froncent, ça se gratte le menton… Il y a aussi plein de personnes qui viennent en disant “mais je suis homosexuel, et vous me rejetez !”. On n’est pas là pour être approuvé, on est là pour sortir les gens de leur zone de confort. Il y a une pancarte “Drapeau arc-en-ciel dans vos rues, profilage racial dans nos rues”. Que les gens soient réceptifs ou pas, on sait que ça rentre par une oreille. Le but est de se rendre visible, de montrer qu’on existe, car ces gens pensent qu’on n’existe pas. »
Pas envie de verser dans la pédagogie, mais plutôt une envie de bousculer : « On diabolise les banlieues, on clame que dans nos pays d’origine l’homophobie est à un niveau beaucoup plus élevé. Mais si les LGBTphobies dans nos pays d’origine se manifestent d’une façon super répressive, pourquoi on n’accueille pas les réfugié.e.s et les migrant.e.s ? C’est contradictoire ! »
Le cortège continue d’avancer vers la place de la République. Des cris de joie fusent des terrasses de café du boulevard Sébastopol, signe que la France qui joue contre l’Argentine vient de marquer. Chris hausse les épaules : « Chacun ses priorités. Pour certain.e.s, la Coupe du monde, pour d’autres les passages piétons arc-en-ciel. Pour nous, c’est montrer que l’image progressiste que le gouvernement se donne n’est en fait qu’un alibi raciste et islamophobe pour soit nous ancrer dans la précarité, soit nous criminaliser. »
D’autres urgences que le sport
C’est le cortège Stop au pinkwashing qui a emboîté le pas au cortège queer trans racisé. Camille, qui tient la banderole du Claq, le Comité de libération et d’autonomie queer, justifie ce mode d’action : « On sabote la Marche, parce qu’on a tout essayé. La Marche est devenue apolitique avec la présence de multinationales qui donnent du fric pour faire que la marche existe. Nous, on pense que les multinationales et la police n’ont rien à faire dans une marche qui est à la base contre la police, contre la violence d’état et contre le capitalisme. Ce mode d’action, on l’a aussi choisi en lien avec les mobilisations contre la casse sociale, car c’est important de faire le lien entre les luttes queers avec les luttes anti-capitalistes. »
Lui aussi fustige le choix d’un mot d’ordre faisant référence au sport : « Cette année, il y avait des urgences importantes, comme la loi asile immigration ou le racisme systémique, qui n’est jamais pris en compte et n’a jamais été un mot d’ordre choisi par l’Inter-LGBT. Il n’y a jamais eu de mot d’ordre contre le racisme, pour la lutte contre le sida. Certaines années, il y a même eu des affiches carrément nationalistes », rappelle Camille, en référence aux affiches de 2011, ou de 2015, qui avait été très critiquées.
À l’arrière du cortège radical, les militant.e.s qui tiennent le cordon de sécurité pestent. Les motard.e.s du GMC – Gay Moto Club, qui ouvrent traditionnellement la Marche juste devant le char de l’Inter-LGBT, n’ont pas l’air d’encaisser d’avoir été relégué.e.s au second plan. Résultat, c’est avec une agressivité non dissimulée que les motos collent aux militants et militantes en faisant vrombir les moteurs et en abusant du klaxon. À cela se sont par ailleurs ajoutées des insultes lesbophobes. En signe de ras-le-bol, l’association Fières a finalement bloqué la marche :
À leurs côtés, Fred fait partie du fraîchement né collectif des Irrécupérables, qui a voulu se joindre au cortège Stop au pinkwashing : « C’est la première action de visibilité de notre collectif, et c’est dû au contexte actuel avec le racisme ambiant, les expulsions, la loi asile-immigration. On est dans ce cortège de tête pour montrer qu’il y a une autre voix que celle de l’Inter-LGBT, normative et vide de discours moderne. L’idée aujourd’hui, c’est de ne pas laisser une voix unique qui invisibilise nos discours et nos objectifs politiques. On est là pour s’opposer à la récupération raciste de la marche. » Pour Fred , le mot d’ordre a été « la goutte d’eau » : « Quand on voit que d’autres organisations de marche en France comme la LGP Lyon a fait un sit-in pour demander la libération de Moussa, avec un mot d’ordre pour la PMA, beaucoup de personnes LGBTQI qui ne sont même pas politisées n’ont pas compris ce mot d’ordre : pourquoi le sport ? »
- « En Marge des Fiertés, c'est un espace par et pour les personnes queers et racisées »
- « Fils d'immigrés, noir et pédé... » : le t-shirt engagé de Kiddy Smile pour la fête de la musique à l'Élysée
- 3 questions à Lina, militante queer et musulmane
- La Marche des fiertés sert-elle encore à quelque chose ?
- 3 questions à Sasha du collectif Marche de nuit Toulouse