« Un couteau dans le cœur », comme son nom l'indique
Le dernier film de Yann Gonzalez, qui raconte une hécatombe commise dans le porno gay, est fascinant de beauté.
Le pitch était audacieux : dans le Paris des années Palace, un tueur masqué de cuir décime un à un les apollons d’une petite boîte de production de films pornos gay un peu cheap. Sa patronne, Anne (Vanessa Paradis) ne voit rien venir, toute perdue dans une érotomanie qu’elle nourrit envers sa monteuse, l’intrigante Loïs.
Plus ses acteurs disparaissent du côté réel de la bobine de sa vie, plus des rêves en négatif apparaissent dans ses nuits et abreuvent ses scénarios : une connexion magique se fait avec le tueur, présenté par la presse comme « le tueur homo ».
Quand Un couteau dans le coeur a été projeté à Cannes, les réactions diverses et variées avaient inquiété nos coeurs impatients. Nous ne mentirons pas, le fait que le personnage lesbien interprété par Vanessa Paradis (qui se base sur une vraie productrice) soit présenté comme pervers et abîmé, cela nous avait refroidi : encore une fois le personnage lesbien serait dévasté.
Le fait que l’histoire montre un « tueur homo » passer de jeunes gays au fil de son couteau, cela nous avait refroidi, touché que nous sommes par les horreurs de l’actualité. Même si nous ne doutions pas du talent de Yann Gonzalez, qui nous avait touché avec Les rencontres d’après minuit.
Un film nostalgique
Toutes ces craintes ont été balayées avec la douceur d’une brise d’été. Ce film, c’est l’ombre et la lumière : le sang jaillit en jouissance, dans un cadre d’une douceur infinie et non dénué d’humour et dans un accord musical parfait. Les jolis corps des acteurs dansant, baisant, fumant rendent nostalgiques celles et ceux qui ne sont pas né.e.s à cette époque sans vih-sida. Quant aux actrices, puissantes, elles brillent dans des rôles fascinants de virilité, d’une rare complexité.
En bref, Un couteau dans le coeur se déguste sous plusieurs focales, et celle du « tueur homo » – bien que très plaisante – n’est pas si centrale. Ce film est une perle baroque et non binaire, percée de mille références que l’on tient sur le bout de la langue. La mise en abîme, procédé souvent utilisé en cinéma, contribue à rendre ce film si fascinant, voire cathartique : où est le projeté ? où est le réel ?
Dans une érotisation constante qui n’élude pas l’évocation des radicalités de l’amitié, les cris déchirants d’amour se conjuguent au pluriel. À ce jeu là, Nicolas Maury – que l’on avait vu dans la série Dix pour cent – joue puissamment le bras droit de la productrice, à la fois trublion et languissant (vous pourrez lire son grand entretien cet après-midi). On découvre Vanessa Paradis dans son rôle le plus fort à notre humble avis : puissant et érigé, en écroulement constant, son personnage est un couteau dans le coeur.
Yann Gonzalez a affirmé qu’il avait pensé son film comme un train fantôme, nous ne pouvons que vous inviter à embarquer. Et un conseil, restez jusqu’à la fin des crédits, pour recevoir de la beauté en plein visage, jusqu’à ce que les lumières se rallument.