« C’est une vraie manifestation que d’être une meuf en drag »
Amber Cadaverous, gouine cis et drag queen anglaise, nous parle de son rapport à l'univers du drag.
Amber Cadaverous est une drag queen pas comme les autres. Pourquoi ? Elle a l’outrecuidance de ne pas être un homme. Le 8 mars dernier, Journée internationale des droits des femmes, elle a fêté ses 21 printemps, en pleine polémique à la suite d’une nouvelle sortie misogyne et transphobe de RuPaul. Cette artiste-activiste originaire de Birmingham réagit en nous racontant son expérience du drag, en tant que femme cisgenre et lesbienne.
J’ai inventé mon personnage d’Amber Cadaverous à l’âge de 17 ans. Extrême dans mes looks et mon maquillage, j’ai toujours été arty. D’ailleurs, je suis actuellement en dernière année aux Beaux-arts. Devenir drag queen, à la fois œuvre et artiste, était une évidence. Mon drag est une extension, une exagération de ma personnalité. Diva gothique et enfant gâtée, je puise mon inspiration dans des personnages forts de films d’horreur. Il y a une étrange puissance dans l’hyper-féminisation qui jalonne le genre de l’épouvante. Et c’est ce style que j’ai choisi d’explorer, avec glamour et colère.
C’est une vraie manifestation que d’être une meuf en drag, très chargée politiquement. En tant que gouine, c’est une manière de surinvestir mon identité fem’ avec force, face à l’hétéronormativité patriarcale et au regard des hommes. À travers l’usage de cosmétiques, de perruques, de corsets, je me transforme. Pourtant ce sont les mêmes outils que l’on vend aux femmes pour corriger leur apparence depuis leur enfance. On attend d’elles qu’elles maintiennent un certain niveau de féminité et qu’elles performent leur présence dans le monde selon des codes bien précis pour avoir de la valeur. Je détourne ces éléments pour en faire tout autre chose et ça me permet de me réapproprier le male gaze, omniprésent. Car tout ce que je fais, je le fais selon mes propres règles, je choisis comment je veux être vue.
On me demande souvent pourquoi je n’ai pas plutôt choisi d’être un drag king. Question très étrange, avec la plus simple des réponses ! J’adore les kings, et je pense que leur travail, vital, est d’une puissance très importante, bien que leur art n’ait pas l’accueil et la popularité qu’il mérite. Mais j’ai toujours été attirée par l’hyper-féminité des drag queens, à l’inverse de la masculinité exacerbée qu’il faudrait que j’investisse si je voulais être drag king.
Être une drag queen, c’est comme être un mégaphone, les gens vous écoutent mieux
Par le biais d’Amber Cadaverous, je célèbre mon corps plus gros que la moyenne, plus size, et ma sexualité lesbienne, avec fierté, alors que ces deux choses sont tout sauf mises en valeur dans notre société. Entre féminisme intersectionnel et théorie queer, j’use de ma plateforme artistique pour empouvoirer les femmes. Je me bats contre l’invisibilisation des femmes dans les luttes LGBTQI et j’essaie au mieux d’éduquer mon public, de le sensibiliser, grâce à mon vécu de gouine fem’.
De Marsha P. Johnson, femme trans racisée, figure de proue des émeutes de Stonewall en 1969, à Pussy Riot qui a défié le patriarcat et le conservatisme de l’église orthodoxe russe en 2012… Les femmes ont toujours su se mettre en scène pour affronter les discriminations. Elles ont toutes leur place dans l’univers du drag. Pourtant, elles doivent se battre dix fois plus pour être vue comme légitimes et décrocher des opportunités. J’ai la sensation que cela contribue à nous pousser à être encore plus imaginatives dans nos approches, notre esthétique, nos performances. Mais les personnes assignées femmes à la naissance, racisées, trans et non-binaires sont moins considérées au sein même du milieu LGBT+. Nous sommes vu.e.s et traité.e.s comme moindres, peu importe notre créativité. Et tout ça pour ce qui pourrait peut-être se trouver entre nos jambes ?
L’homophobie intériorisée, la misogynie et le racisme sont de vrais problèmes dans les espaces queer, aussi bien que dans le reste de la société.
Les termes bio queen, particulièrement transphobe, faux queen ou encore hyper queen n’ont aucune vraie raison d’être, sinon mettre à part, diviser. Ces étiquettes collées aux femmes qui font du drag sont réductrices, insultantes et rétrogrades. Elles maintiennent les stéréotypes de genre et les structures sexistes en place dans nos cercles et c’est préjudiciable.
En ce qui concerne RuPaul, il est blessant qu’une figure LGBT+ si importante use de son aura pour promouvoir misogynie et transphobie. « Le drag perd son sens du danger et de l’ironie quand ce ne sont pas des hommes qui le font, car à la base, c’est un doigt tendu bien haut à une culture dominée par les hommes », quelle triste ironie. Car le monde du drag qu’il décrit ainsi est justement dominé par les hommes. Pourquoi ce plafond de verre alors qu’il nous répète à longueur d’émission que « nous sommes tou.te.s né.e.s nu.e.s et que le reste, c’est du drag » ? Bien qu’il se soit vaguement excusé, ce n’est pas la première fois qu’il dit des choses plus que discutables. Le hashtag #MyDragIsValid (mon drag est valide, ndlr) créé en réponse sur Twitter a vraiment réchauffé mon petit cœur sombre lors de cet énième tempête transmisogyne.
J’encourage toutes les femmes qui veulent devenir drag queen, en dépit de la misogynie ambiante, dans leur démarche !
Un mec essayant de me dire quoi faire ne m’a JAMAIS stoppée avant, et ce n’est pas près de commencer. Oui, c’est vrai que RuPaul est un monument dans la communauté LGBT+ et il a une tribune colossale pour se faire entendre, mais cela ne veut pas dire que toutes ses opinions sont paroles d’évangile. Peu importe ce qu’il dit des femmes, j’aime toujours autant ce que je fais et je continuerai.
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Beaucoup de meufs me demandent si elles peuvent devenir drag queen, et je réponds toujours qu’elles n’ont besoin de la permission de PERSONNE, excepté la leur, pour s’exprimer comme elles l’entendent. RuPaul y compris. Le drag est pour tout le monde, peu importe comment on s’identifie, et ce qu’on a dans la culotte. Si vous voulez vous y mettre, à n’importe quel niveau que ce soit, s’il vous plaît, faites-le. Pour citer Sasha Velour « le drag est l’art de l’imagination queer ».
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Olga Volfson