3 questions à Kari Mugo, membre de la Commission kenyane pour les droits des gays et des lesbiennes
« La vérité, c'est qu’une fois sortis de la haine, les gens ne savent même pas ce que ça veut dire de faire partie d’une minorité de genre ou sexuelle. »
Une révolution légale est-elle en train de se préparer au Kenya ? Les minorités sexuelles sont encore trop souvent persécutées dans le grand pays d’Afrique de l’Est, mais il se pourrait bien que la Haute Cour du pays décide d’abroger deux sections du Code pénal qui criminalisent les rapports sexuels entre personnes du même sexe dans les prochains mois. Le combat est mené par la Commission nationale pour les droits humainsdes gays et des lesbiennes (NGLHRC), qui aide juridiquement les personnes LGBT+ depuis 2012.
L’organisation considère que ces sections sont anticonstitutionnelles. Elle a lancé des procédures devant la plus haute instance juridique du pays le 22 février et a fait défiler des expert.e.s et des avocat.e.s pour parler des discriminations et violences que subissent les personnes LGBT+ du pays. En réplique, des organisations religieuses argumentent que l’homosexualité est un pêché. La décision de la Cour est attendue dans le courant de l’année. Si elle est positive, la décision pourrait créer un précédent en Afrique de l’Est. Pour Komitid, Kari Mugo, la directrice des opérations du NGLHRC, revient sur le combat de son organisation.
Vous avez vos arguments devant la Haute cour kenyane. Les auditions ont pris fin le 1er mars dernier. Contre quoi vous battez-vous exactement ?
Kari Mugo : Les pétitions que nous avons adressées à la Haute Cour remettent en cause deux sections du Code pénal qui sont utilisées pour arrêter des personnes LGBT pour des « offenses contre-natures » et « de l’indécence caractérisée ». Celles-ci sont condamnées par une peine de prison qui peut aller jusqu’à 14 ans de réclusion. Il n’est pas illégal de s’identifier comme un membre de la communauté LGBTIQ au Kenya, ce sont les relations sexuelles entre personnes de même sexe qui sont criminalisées.
Ce que nous avons expliqué à la Cour, c’est que ces sections du Code pénal sont en contradiction avec la Constitution du Kenya qui indique que tous les citoyens sont égaux et ne peuvent pas être discriminés. Nous demandons donc à la Cour de clarifier ceci : est-ce que ces lois sont en contradiction avec la Constitution ? Si c’est le cas, elles doivent être abrogées.
Je pense que nos avocats ont présenté des arguments qui font sens. Après tout, ce jugement s’intéresse précisément à la façon dont la loi est interprétée et si la Constitution est bien la loi suprême du Kenya. Les arguments de nos opposants étaient pétris de moralité et de religion, et nous avons déjà établis que ceux-ci ne pouvaient pas être reçus par la Haute Cour.
Nous sommes confiants, mais si nos pétitions sont rejetées, contrairement à ce que j’ai pu lire dans la presse, la situation ne s’aggravera pas. Il ne semble pas que le gouvernement souhaite introduire d’autres lois anti-LGBT [ndlr : une tentative d’introduire une loi anti-LGBT+ avait été rejetée par le Parlement du pays en 2014].
De quelle façon la population kényane perçoit-elle les personnes LGBT+ du pays ?
K. M. : Je pense qu’une des choses très problématiques que nous observons, ce sont les gens qui prétendent parler pour l’entièreté de la société kényane, en expliquant que tous les Kényans sont homophobes et qu’aucune exception ne sera faite pour les personnes LGBT. Mais dans certains cercles, nous observons des changements d’attitude quant aux minorités sexuelles.
Le problème, c’est que nous avons des leaders politiques, religieux et culturels qui s’expriment contre la communauté LGBT.
Le problème, c’est que nous avons des leaders politiques, religieux et culturels qui s’expriment contre la communauté LGBT. Du coup la société est globalement mal informée et non éduquée sur ces questions et cela se traduit par de la violence, des discriminations, et même des évictions ou des extorsions. La vérité, c’est qu’une fois sortis de la haine, les gens ne savent même pas ce que ça veut dire de faire partie d’une minorité de genre ou sexuelle.
D’ailleurs, il faut noter que le Président Uhuru Kenyatta, dans des remarques datant de 2015, avait indiqué que les droits LGBT n’étaient pas un sujet en soit. Le gouvernement n’a même pas donné de position officielle quant à notre recours en justice.
Malgré ce climat, de nombreuses personnes LGBT+, venant de pays voisins comme l’Ouganda ou le Burundi se réfugient au Kenya. Comment l’expliquer ?
K. M. : C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons fondé notre organisation. Nous avons vu toutes ces personnes fuir l’Ouganda ou le Burundi pour venir au Kenya, où il n’y avait certes aucune protection contre les discriminations, mais où au moins elles n’étaient pas persécutées.
Notre but a toujours été de faire du Kenya un endroit où les personnes LGBT pourraient se sentir en sécurité. Et lorsque l’on regarde nos pétitions, on se rend compte que celles-ci ont le potentiel de renverser complètement la discussion qui entoure les questions LGBT, tant au niveau régional que du continent. Il y a vraiment l’idée que cela pourrait créer un précédent. Cette contestation peut être vue comme un test et nous pensons qu’elle peut avoir un impact énorme si nous gagnons, même au-delà de nos frontières.
La Commission nationale pour les droits humains des gays et des lesbiennes communique de façon régulière sur ses actions via son site internet et son compte Twitter.