Sandra Forgues, la révélation d'une championne
Il y a 22 ans, Sandra Forgues montait sur la première marche du podium des Jeux Olympiques d'Atlanta pour sa performance en canoë biplace. Le 9 mars, elle a fait son coming out transgenre dans les pages sacrées de l'Equipe. Une première.
Combien de personnes transgenres portent les couleurs de la France dans les compétitions internationales ? Combien s’entraînent tous les jours, soit au sein d’une équipe, soit dans la solitude ? Beaucoup, sans doute, mais en secret. C’est la conviction de Sandra Forgues, première sportive française à avoir fait son coming out transgenre.
C’est au quotidien l’Équipe que la championne olympique de 1996 a choisi de se confier. Une façon de plus de briser l’omerta, car le journal est très populaire (plus de 200 000 exemplaires par jour) chez les fans de sport, et a de plus en plus tendance à être précurseur.
« Pour moi le sport c’était un exutoire, une façon de me dire “mais si tu es normal. Tu réussis, alors, arrête tes conneries” »
Dans le grand entretien, la sportive revient sur ses années de vie secrète. « Je vis un rêve. Jusque-là, j’avais une vie sociale, familiale et professionnelle vraiment réussie. J’étais engagée dans un milliard de trucs. Mais ma vie intime était en prison ». Mariée, mère de deux enfants, la championne de canoë raconte avoir ramé pour s’accepter telle qu’elle est. « À chaque fois que je devais lutter contre moi-même, je me réfugiais dans le sport, dans mes capacités physiques qui étaient assez fortes. Je surjouais même. Je me forgeais un corps de “marines” […] pour moi le sport c’était un exutoire, une façon de me dire “mais si tu es normal. Tu réussis, alors, arrête tes conneries”. Quand j’ai été sélectionnée aux JO, je me suis dit, ça y est, tu es un vrai mec, tu es passée à autre chose. Mais on ne lutte pas contre soi-même. »
« Ce n’est pas le fait d’être la première qui m’intéresse, c’est le fait de ne pas être la seule »
En exposant sa vie personnelle, Sandra Forgues espère ouvrir la voie, briser l’omerta. Elle raconte au quotidien sportif avoir été très entourée par le monde du sport, souvent jugé rétrograde sur les questions LGBT+ (parfois à raison). « C’est moi qui ai pris une claque. Je pensais que ce serait très difficile, eh bien non. […] Tout le monde m’a officiellement demandé de poursuivre mes missions. » Galvanisée par son coming out et par la façon dont la nouvelle a été reçue, la championne espère avec cet entretien aider des camarades qu’elle pense nombreux. « Ce n’est pas le fait d’être la première qui m’intéresse, c’est le fait de ne pas être la seule. J’ai envie de transmettre un message de bonheur. »
Une réaction médiatique à deux vitesses
Le principe d’une première comme celle-ci, c’est que la reprise de l’information par les autres journaux est pléthorique. Une bonne nouvelle dans un cas comme le coming out de Sandra Forgues : plus il y a d’articles, plus l’information contribue à changer les mentalités, aider les personnes transgenres enfermées dans leur placard à s’identifier. Malheureusement, si la plupart des médias ont fait leur travail avec respect, d’autres ont été bien moins rigoureux.
Exemple : « Le champion olympique de canoë Wilfrid Forgues raconte comment il est devenu Sandra » titre La Parisienne dans un article du 9 mars. Non seulement l’article maladroit utilise le masculin pour identifier Sandra Forgues, il mentionne aussi son dead-name (l’ancien prénom) avant même son nom d’usage. Le journaliste fait même d’une pierre deux coups en comparant la championne française à l’Américaine Caitlyn Jenner « C’est la première Caitlyn Jenner à la française. Comme “Bruce Jenner”, qui avait gagné l’or olympique en décathlon, Wilfrid Forgues est champion olympique de canoë biplace à Atlanta en 1996 ».
Rachel Garrat-Valcarel, membre de l’Association des Journalistes LGBT (AJL), se félicite de ce coming out médiatique. « Je trouve très important que ce coming out ait eu alors un large écho (…) Le fait que L’Equipe choisisse de donner une grande place à l’interview d’une championne olympique française trans, la première ouvertement, est donc un choix éditorial à saluer. » Concernant les différents articles qui ont suivi, la journaliste préfère voir le verre à moitié plein, mais regrette que ses collègues répètent les mêmes maladresses.
« Sans surprise il y a du positif et du négatif. C’est bien une preuve de la pertinence du travail de l’AJL. Je veux retenir que plusieurs médias, et des médias important ont réussi à éviter plusieurs écueils récurrents dans le traitement des personnes trans dans la presse. On est quand même obligé de noter que ce comportement n’est pas encore la norme. Je pense là à certaines questions qui ont été posées à Sandra Forgues en interview : s’interroger sur le fait qu’elle ai été mariée à une femme et qu’elle a eu des enfants entretient une confusion entre orientation sexuelle et transidentité. Deux notions pourtant très différentes. Enfin, on peut regretter qu’une importance encore démesurée soit donnée à la transition physique des personnes trans, à travers des questions sur le “parcours chirurgical” de l’athlète, qui ne regarde qu’elle et elle seule. »