Grand acteur et grand réactionnaire, Alain Delon s'est éteint

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Légende du cinéma, acteur instinctif à la beauté incandescente mais aussi réac assumé à l'ego énorme, Alain Delon, l'acteur de Plein soleil et du Samouraï, s'est éteint dimanche à 88 ans.

Alain Delon au Festival de Cannes 2019
Alain Delon lors du Festival de Cannes de 2019 au cours duquel il reçut une Palme d'Or d'Honneur - photo Paul Smith / Featureflash

De l’Italie où il a travaillé dans les années 60 avec des cinéastes comme Visconti au Japon où il était une star, le départ de l’acteur au regard magnétique a suscité une vague d’émotion.

Son décès a été annoncé par ses trois enfants Alain Fabien, Anouchka, Anthony, ainsi que son chien Loubo, dans un communiqué commun adressé à l’AFP, tournant le dos à des mois de bisbilles ultra médiatisées.

« Vide abyssal »

L’acteur, qui souffrait d’un lymphome, est décédé dans sa propriété de Douchy, dans le Loiret (centre).

Devant sa maison, des dizaines de personnes sont venues déposer des bouquets de fleurs après l’annonce de son décès.

« C’était quelqu’un de très simple, de très gentil, ouvert, on le voyait souvent se balader » a raconté Marc, habitant d’un village voisin également venu se recueillir à Douchy.

« Sa disparition creuse un vide abyssal que rien ni personne ne pourra combler », a confié à l’AFP Brigitte Bardot, désormais dernière légende vivante du 7e art français.

« Le bal est fini. Tancredi s’en est allé danser avec les étoiles… », a réagi de son côté Claudia Cardinale, sa partenaire dans “Le Guépard”.

« Gangster au visage d’ange »

Loin des acteurs cérébraux, Delon était un instinctif. Il s’enorgueillissait de n’avoir jamais travaillé sa technique et s’appuyait sur son charisme, mélange unique de beauté incandescente et de froideur cassante.

Dans La piscine (1969), il joue aux côtés de celle avec qui il formait quelques années auparavant le couple chéri de la presse people, Romy Schneider.

Le cinéaste le plus important de sa carrière est Jean-Pierre Melville, qui le dirige dans deux chefs d’oeuvre, Le samouraï (1967) et Le cercle rouge (1970).

Ces rôles définissent le mythe Delon, qu’il exploitera dans de nombreux autres polars par la suite : l’homme d’honneur viril et taiseux, obligé de se battre seul contre des forces qui le dépassent.

Ce personnage archétypal inspirera des réalisateurs du monde entier, comme le Hong-Kongais John Woo ou l’Américain Quentin Tarantino, alors même que le Français n’a jamais percé à Hollywood.

« RIP, gangster au visage d’ange », a écrit sur Instagram le réalisateur américain Jim Jarmusch sur une photo de Delon dans Le samouraï.

Profondément de droite

Si l’acteur Delon était unanimement admiré, l’homme a souvent été critiqué et jugé antipathique. Certains lui ont reproché ses prises de position, en faveur du leader d’extrême droite Jean-Marie Le Pen, pour la peine de mort ou contre l’homosexualité.

Elevé dans le gaullisme et vieil ami de Jean-Marie Le Pen, Alain Delon était profondément de droite et a soutenu, au gré des présidentielles, les représentants du camp conservateur.

En 1974 et 1981, l’acteur, favorable à la peine de mort, avait appelé à voter Valéry Giscard d’Estaing (contre François Mitterrand), en 1988 Raymond Barre (au premier tour) et, en 2007 Nicolas Sarkozy, avant de se fâcher, plus tard, avec le président.

S’il disait volontiers « adorer » et « admirer » Simone Veil, il était peu disert sur Jacques Chirac.

Après avoir soutenu Alain Juppé lors des primaires des Républicains en 2016, il avait voté François Fillon au premier tour de la présidentielle. Lors du second, entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, il disait « être resté chez lui ». Il n’aimait pas la façon dont la fille traitait son père.

Proche de Jean-Marie Le Pen

Depuis les années 80, Alain Delon a été un proche du leader du Front national. « J’ai des points d’accord et de désaccord avec lui. C’est un ami de longue date, je suis très sympathisant de M. Le Pen », disait-il en 1987, tout en soutenant alors, avec enthousiasme, Raymond Barre.

Alain Delon et Jean-Marie Le Pen, séparés par sept années, se retrouvaient notamment autour de leur participation à la guerre d’Indochine.

De son côté, M. Le Pen avait confié en 2010 qu’il se verrait bien incarné au cinéma par Alain Delon, le seul acteur, selon lui, à avoir « le plus de facilités » pour ce rôle, « physiquement (sic) et mentalement ».

En 2013, Alain Delon déclarait « approuver » que « le Front national prenne une place très importante ». Une prise de position dénoncée par le Comité Miss France et qui le conduisit à démissionner de sa fonction de président à vie de ce jury.

Son fils Anthony avait alors indiqué : « C’est consternant ! C’est un acteur. Il ferait mieux de tourner des films et de nous offrir une fin de vie à la Clint Eastwood plutôt que de s’improviser politologue ».

Vote à droite, tourne à gauche

Face aux nombreuses réactions qu’avait provoquées son appui au FN, Alain Delon n’avait rien cédé : « Je n’ai pas dérapé. Je suis gaulliste depuis quarante ans mais il faut vivre avec son temps. On ne peut pas être gaulliste dans un monde hollandiste ».

Lors de la campagne des européennes de 2014, celui qui jugeait l’homosexualité « contre-nature » avait prêté sa voix au clip promotionnel de Christine Boutin, l’égérie des anti-mariage pour tous.

« Je n’ai rien dit contre le mariage gay, avait-il expliqué. J’ai dit que je m’en foutais du mariage. Mais je suis contre l’adoption des enfants (…) parce qu’un enfant doit avoir un père et une mère et doit être élevé par un père et une mère ».

Ce positionnement ne l’avait pas empêché de cultiver des amitiés avec des gens de bords opposés, comme le réalisateur italien (homosexuel) Luchino Visconti, proche des communistes, ou bien d’aider financièrement un film comme Monsieur Klein de Joseph Losey, banni d’Hollywood pour ses sympathies communistes.

De même, après la défaite de la gauche aux législatives de 1986, il avait insisté pour que ce soit l’ancien ministre socialiste de la Culture, Jack Lang, qui lui remette les insignes de commandeur de l’ordre des arts et des lettres. Lors des municipales de 2014 à Paris, il avait soutenu la candidate du PS, Anne Hidalgo.

Sur les réseaux sociaux, l’INA a exhumé un extrait d’une émission de 1996, où Alain Delon était interrogé sur ce qu’il aimerait que Dieu, s’il existe, lui dise à sa mort.

Réponse : « Puisque tel est ton plus grand et ton plus profond regret – je le sais – viens, je te mène à ton père et ta mère, afin que pour la première fois, enfin, tu les vois ensemble », confiait l’acteur, malheureux, enfant, ballotté entre deux familles.

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