Interview grand format avec Mélissa Camara (EELV) : « Ma démarche, c’est d’être une des premières mais pas la dernière »

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Mélissa Camara, qui a milité à SOS homophobie ainsi qu'à Oser le féminisme, ouvre une porte. Elle se présente elle-même comme une femme noire lesbienne. C'est une première dans l'histoire d'Europe Écologie Les Verts et dans l'histoire politique qu'une telle personnalité se présente pour devenir cheffe de parti. Raison de plus pour mieux connaître son parcours, ses engagements et ses motivations. Interview.

Mélissa Camara, à Paris, novembre 2022 - Christophe Martet pour Komitid
Mélissa Camara, à Paris, novembre 2022 - Christophe Martet pour Komitid

Le 10 décembre prochain est une date importante pour le mouvement politique EELV puisque sera désigné l’équipe qui tiendra les rênes du parti. Sept motions sont en lice pour le congrès afin de prendre la suite de Julien Bayou.

Parmi ces motions, celle défendue notamment par Sandrine Rousseau, intitulée « La Terre », est menée par une de ses proches, la conseillère municipale de Lille Mélissa Camara, annoncée comme seconde en lice derrière la motion favorite conduite par Marine Tondelier, plus proche des anciens secrétaires nationaux Cécile Duflot, David Cormand et Julien Bayou.

Si Komitid a souhaité interviewer Mélissa Camara, qui a milité à SOS homophobie ainsi qu’à Oser le féminisme, c’est parce qu’elle ouvre une porte. Elle se présente elle-même comme une femme noire lesbienne. C’est une première dans l’histoire d’EELV et dans l’histoire politique qu’une telle personnalité se présente pour devenir cheffe de parti. Raison de plus pour mieux connaître son parcours, ses engagements et ses motivations. Nous l’avons retrouvé un vendredi matin, près de la Gare du Nord, entre deux voyages en train et à la veille de la marche contre les violences faites aux femmes à laquelle elle comptait bien participer.

Komitid : Vous vous présentez comme une femme noire lesbienne, ce qui fait beaucoup…

Mélissa Camara : (Rires) S’ił y a une force supérieure, elle a eu beaucoup d’humour en ce qui me concerne !

…Mais vous n’êtes pas que cela ?

Je ne suis pas que cela mais c’est ce qui m’a forgée et ce qui a forgé mon parcours. Si je suis militante aujourd’hui c’est parce que je suis une femme noire lesbienne. Issue d’un quartier populaire, j’ai connu les discriminations depuis l’enfance. J’ai su aussi quelles étaient les discriminations liées à la classe depuis l’enfance. Ma grand mère était une femme de ménage qui savait à peine lire et écrire et qui était très ancrée à gauche. Le fait de me découvrir lesbienne à l’adolescence m’a permis aussi de sortir de mon milieu par la lecture, par la découverte et surtout ça m’a fait devenir militante par réaction. C’est quand la Manif pour tous est sortie dans la rue contre nos droits que j’ai décidé de sortir du placard. Et de défiler aussi dans la rue pour défendre la société que je souhaitais pour moi, mes ami·es, mes proches.

« C’est quand la Manif pour tous est sortie dans la rue contre nos droits que j’ai décidé de sortir du placard »

Je rebondis sur cette question du coming out, qu’est-ce que vous pensez du fait que parfois on aurait tendance à pousser les gens à faire leur coming out, ce qui pour certains et certaines, en particulier les personnes afrodescendantes, peut être plus compliqué ?

Quand on grandit dans un quartier populaire en tant que racisée, on a peu d’image de personne racisée LGBT. En tant qu’enfant je ne savais pas qu’on pouvait être noire, arabe et LGBT. C’est aussi pour cela que je souhaite être visible, parce qu’enfant je n’avais aucune représentation d’une femme noire lesbienne. Et pourtant elles existent, je pense tout de suite à Angela Davis. Ca peut être plus compliqué. Mon coming out vis a vis de mon père a été plus long. Si on ne se sent pas près, on ne le fait pas. Je l’ai fait pour celles et ceux qui ne le peuvent pas mais je ne pousserai personne à le faire.

Vous avez milité dans le mouvement féministe et dans le mouvement LGBT. Quelles difficultés y avez-vous rencontrées ?

La place intersectionnelle y est difficile à vivre. Je suis allée dans des mouvements féministes. J’en suis partie, parce qu’il commençait à y avoir des fractures, notamment je voyais monter ces femmes TERF. Et au sein du militantisme LGBT, ce sont beaucoup d’hommes blancs gays CSP+ qui sont présents, un peu “color blind” et qui ne voient pas toujours le lien entre les questions de classe, de race et du genre. J’ai eu besoin de quitter ce militantisme parce que je n’arrivais pas à m’y retrouver. J’étais tiraillée à la fois dans les mouvements LGBT et féministes. J’ai eu besoin de me retrouver et de me ressourcer.

« Quand on est afro-descendant en France, on grandit avec très peu de références sur les luttes décoloniales »

Quelles sont vos références ?

Quand on est afro-descendant en France, on grandit avec très peu de références sur les luttes décoloniales. On connaît mal l’histoire de l’esclavage et de son abolition, on ne connaît pas le sort d’Haïti qui s’est libéré, mais à quel prix, du joug colonial et esclavagiste. Toute cette histoire, elle est passée sous silence. Dans les années 90, et avec un père africain, mes références étaient plutôt afro américaines. Les Black Panthers, Angela Davis, le mouvement des droits civiques. Mais très peu de figures culturellement plus proches de nous. Je suis assez bercée par ces références. En France, une des références serait Franz Fanon, une autre Christiane Taubira, qui a une très grande éloquence. Durant les débats du mariage pour tous, elle a subi le racisme systémique et en a pris plein la gueule. Comme je pense que ma génération va aussi en prendre plein la gueule.

Que faudrait-il faire pour lutter contre ce racisme qui est encore très présent en France ?

Il faut des figures, mais on doit aussi faire un travail de mémoire. On ne se rend pas compte à quel point on est bercé par cet imaginaire colonial, moi inclus. Mon père est issue de ces colonies. Lorsqu’on utilise du « petit nègre » pour me dénigrer sur les réseaux sociaux, c’est que cet imaginaire est vraiment ancré.

Quand vous ne faites pas de politique, qu’est-ce que vous aimez faire ?

Avant, c’est à dire avant d’avoir un bébé (rires), j’aimais lire, regarder des films. Mais avec un enfant, ça devient compliqué !

« Les premières victimes des pollutions et du dérèglement, ce sont toujours les personnes les plus précaires, les marginalisées, les discriminées et en premier lieu les femmes »

Cette idée du lien entre la terre et le féminisme, l’écoféminisme, d’où cela vient-il dans votre expérience propre ?

Je viens des mouvements de justice environnementale et c’est lié. Les premières victimes des pollutions et du dérèglement, ce sont toujours les personnes les plus précaires, les marginalisées, les discriminées et en premier lieu les femmes. C’est vrai dans les pays du Sud. Ici, les personnes dans les quartiers populaires, les mères célibataires dans les passoires thermiques, les gens issus de l’immigration, les personnes LGBT marginalisées subissent de plein fouet les canicules. Ce qu’on fait subir à la terre et les dérèglements que cela entraîne impacte directement les plus précaires. Ce qu’on porte, ce sont ces questions-là et comment l’écologie peut être profondément sociale et intersectionnelle pour mettre à l’abri et accompagner les gens dans les transformations qui vont devoir être conduites. J’ai pris conscience de cela en rédigeant un mémoire sur l’intersectionnalité et les mouvements de femmes roms. Notamment en accompagnant des femmes gens du voyage qui vivent sur des terrains pollués, ce qui est le cas de 50 % des terrains des gens du voyage en France. C’est du racisme environnemental. A chaque fois qu’il y a des catastrophes, ce sont les mêmes profils qui vont subir en premier. Ce qu’on veut, c’est mettre à mal ces discriminations et cette prédation et lutter contre le dérèglement. Le système patriarcal prend, utilise, jette la terre comme il va utiliser et jeter les corps des racisés, les corps des femmes…

Que pensez-vous des mouvements écologistes radicaux ?

On a besoin de radicalité. Il y a des écolos qui travaillent dans les institutions comme au Parlement européen mais l’institution seule ne marche pas. Il faut marcher sur deux jambes, la désobéissance civile et l’institutionnalisation. Il faut des mouvements de base qui font des coups d’éclat justement pour faire avancer. Il faut écouter cette jeunesse qui jette de la peinture sur des vitres ou dégonflent des pneus parce qu’elle a marché pendant des années pour l’écologie mais ça n’a rien donné. C’est leur façon de se faire entendre et je soutiens ces mouvements de désobéissance civile. On a souvent analysé l’histoire LGBT pour comprendre ce qui se passe. Act Up a fait un travail formidable contre le VIH et on n’aurait rien fait sans ses coups d’éclat, ce faux sang versé…

Pensez-vous aussi qu’un·e responsable politique peut aller jusqu’à la désobéissance civile ? 

Sandrine Rousseau l’a dit. Elle ne ferait pas d’action de désobéissance civile. Mais des militants de ce mouvement politique peuvent participer à des actions, on l’a vu avec Sainte Soline (contre le projet de mégas bassines, ndlr). Il y avait des députées, des élu·es parce qu’il y a 5 % des gens qui veulent s’accaparer un bien commun, l’eau. Le rôle d’un·e élu·e, c’est de donner l’alerte et de porter un message fort pour changer la société.

Aujourd’hui, devenir une personnalité publique n’est pas une sinécure, en particulier dans le contexte des réseaux sociaux. Ca peut être violent. Comment fait-on ?

C’est violent. Ma femme avait accouché depuis 24 heures, j’avais été félicitée par Yannick Jadot et il y a eu des centaines de messages épouvantables disant que ma fille était une abomination. C’est assez rude d’avoir un bébé dans ces conditions. Mais Twitter n’est pas la France. Malheureusement aujourd’hui pour communiquer, et notamment envers les journalistes, il faut y être. J’ai une carapace. Le terrain, la rencontre avec les militants, le fait d’être élue, ça surpasse tout cela. Mais ça montre aussi qu’il y a des groupes bien organisés notamment d’extrême droite qui mènent la bataille culturelle. Sur Twitter, c’est assez effrayant.

Si vous deviez choisir des livres qui vous ont touchés ?

Je ne réponds jamais la même chose mais le livre qui m’a fait le plus pleuré dans mon adolescence, c’est Le Lys dans la vallée. Je conseille aussi Une écologie décoloniale de Malcom Ferdinand. Je vais aussi faire la promo du Génie lesbien d’Alice Coffin qui est assez génial. Et bien sûr aussi Trouble dans le genre (de Judith Butler, ndlr) car cela m’a ouvert tellement de portes. La performance du genre, c’est assez incroyable. En fait, après on analyse tout à ce prisme : la façon dont on parle, dont on se comporte.

Qu’ont pensé vos parents de votre parcours, votre coming out, vos engagements ? 

Ma maman est décédée en 2015. J’ai pu lui parler avant son décès. Elle m’a dit cette phrase magnifique : “Tu te bats depuis toujours pour les droits de tout le monde. Quand il s’agit des tiens il faut que tu te battes aussi. Donc je suis très fière de toi”. Mon père est aussi très fier de mon engagement. Il n’a jamais pu voter car il est guinéen. Que sa fille soit élue face à Martine Aubry, la dame des 35 heures et de la CMU, c’est assez fou.

Souhaiteriez-vous ajouter quelque chose ?

Ma démarche, c’est d’être une des premières mais pas la dernière. J’espère que dans quelques années, on sera nombreux et nombreuses issues du milieu ouvrier, des personnes gays, lesbiennes, trans, bies, racisées. Il nous faut de la diversité dans ce monde politique homogène. On ne devient pas ce qu’on ne voit pas et je veux que des adolescentes se disent : “Je peux être élue, je peux avoir une famille, être heureuse”. C’est tout l’intérêt d’être visible. Ce serait la première fois, si j’étais élue, qu’une femme noire et lesbienne dirigerait un parti. C’est ouvrir la voie et j’espère que dans quelques années, on sera nombreux et nombreuses.